Introduction :
Enjeu politique, social, économique... Des quotidiens, des hebdomadaires, des mensuels... Beaucoup d’encre coule pour traiter des problèmes des personnes handicapées et âgées. Le déficit de la Sécurité Sociale d’un côté, la solidarité et l’intégration de l’autre, la dépendance et les drames personnels au centre... L’actualité nous invite à suivre les débats de société qui animent la recherche de solutions.
Pour les bénéficiaires et leur entourage, les mesures prises en leur faveur émanent directement des conclusions retenues par le législateur. Pour les professionnels oeuvrant dans le domaine du handicap, les lois fixeront le cadre de leur pratique. Les citoyens que nous sommes pensent que de tels enjeux s’appuient sur des définitions fortes et consensuelles du handicap, destinées à rendre efficientes les décisions administratives. Il n’en est rien. La loi en faveur des handicapés du 30 juin 1975 qui est considérée comme la première mesure se préoccupant de cette population, n’en donnait aucune définition. " Ont été considérées comme personnes handicapées celles qui ont été tenues pour tel par les commissions " précise M. Fontan en 1988 (Président du CTNERHI )
Aucune précision n’est venue renforcer le dispositif depuis. L’organisation mondiale de la santé (OMS) est confrontée à des difficultés similaires. Elle a produit en 1980 la Classification Internationale des Handicaps qui est considérée comme une révolution dans le monde de la santé. Elle concentre actuellement nombre de critiques de la part des bénéficiaires et des chercheurs. Ils contestent une approche trop médicale, liée à la notion d’infirmité fixée, négligeant l’aspect social. La cours des comptes dans son rapport de 1982 affirmait déjà : " La façon dont les textes ont été interprétés, l’inadaptation des mesures prises et de l’organisation chargée de les appliquer n’ont guère facilité l’intégration des handicapés adultes et leur accession à l’autonomie ; ils ont même contribué à les maintenir, au moins partiellement, dans leur condition d’assistés " (CHAPIREAU p43).
Une revue de la littérature nous permettra de présenter les explications des chercheurs qui distinguent deux monde qui s’ignorent (le médical et le social) et d’aborder les travaux engagés pour répondre aux critiques. Les ergothérapeutes s’intéressent de près à la révision des définitions par le fait qu’ils situent leur action au carrefour de l’approche médicale, sociale, et technologique.
Ergothérapeute ?, ergothérapie ! De quoi s’agit il ? Cette interrogation posée comme préalable à la relation résume toutes les situations où un ergothérapeute est amené à évoquer sa vie professionnelle. Que cela se déroule dans un groupe d’amis, face à un bénéficiaire muni d’une prescription médicale, ou tout simplement dans le cabinet d’un médecin généraliste, le mot réveille la curiosité comme le souligne le titre au travers du terme d’" ergonaute ", croisement de sens entre un soignant inconnu et un crustacé pas plus célèbre. L’invention de ce néologisme francophone revient à l’académicien G. DUHAMEL en 1950, popularisé dans la littérature par " Fin asile " d’Hervé. BAZIN en 1959. (30 GOUCI, 1994) Les pratiquants de la langue de Shakespeare la dénomme " Occupationnal Thérapy ", la thérapie de l’occupation. La racine grecque ergon signifie activité, ouvrage, travail, réalité (selon le dictionnaire BELIN, cité dans RUET, 1995). L’étymologie éclaire insuffisamment la définition. Le concept central se situe au niveau de l’activité (MEYER, 1996). " L’ergothérapeute est un soignant de/par/avec l’activité " nous dit I. Pibarot, ergothérapeute psychanalyste, (1996). Ce professionnel étudie le rapport entre la personne et son environnement par le biais de ses actions. Il s’adresse à des usagers en situation de handicap, que celle-ci soit passagère ou définitive. Le but recherché est l’autonomie et/ou l’indépendance de la personne. Les " ergo " se décrivent comme des professionnels proposant une approche globale de la santé.
Ce repérage sera étayé par une approche plus complète dans la troisième partie de ce mémoire. La profession fait partie des auxiliaires médicaux (Diplôme d’État, et Décret d’Actes paru au Journal Officiel ). Elle est inscrite au livret IV du code de la santé publique, travaillant sur prescription médicale, selon les mêmes modalités que l’orthophonie, la masso-kinésithérapie ou un acte infirmier.
La nécessité d’expliquer les fondements de la profession devient plus emblématique lorsque l’ergothérapeute s’adresse aux prescripteurs, aux autres membres de l’équipe médico-sociale, ou aux administrateurs d’institutions chargées d’élaborer la politique sanitaire et sociale du pays. Dans le premier cas, l’ergothérapie ne peut pas être prescrite à bon escient, dans le second la particularité de ses actes n’est pas prise en compte, et dans le troisième il n’y a pas d’embauche.
Le questionnement de départ est diffus car lié à l’actualité. Nombres de mesure politiques actuelles en faveur de la santé s’affirment autour de valeurs proches de celles défendues par l’ergothérapie depuis 1961, date de la création des premières traces écrites des ergothérapeutes Français. La question prend sa source dans les débats concernant les définitions du handicap pour chercher s’il existe une réponse ergothérapique appropriée :
Dans quelle mesure " les activités " (type Classification Internationale des handicaps 2) proposées par les ergothérapeutes aux personnes en situation de handicap peuvent-elles permettre de mettre en synergie les interventions sanitaires et sociales ?
Cela exige une clarification de la notion de handicap autour des concepts d’activité. En parallèle, il faut s’assurer que l’ergothérapie présente des caractéristiques susceptibles de répondre à la problématique contemporaine du handicap, et qu’elle formalise ses particularités dans un tout cohérent vers l’émergence d’une " science de l’activité ".
L’auteur, ergothérapeute, tente de positionner le rôle de sa profession en comparant les débats internationaux sur le handicap et la littérature ergothérapique. L’argumentation peut être perçue en terme corporatiste. Nous préférons croire qu’elle sera accueillie comme une invitation à travailler au service des bénéficiaires à partir de bases issue des définitions, en tenant compte de l’importance qu’il y a à développer des collaborations.
Les définitions du handicap peuvent être interprétées de différentes manières. Ces données nous permettrons d’effectuer un parallèle avec la littérature francophone des ergothérapeutes de la planète. La méthode d’interview a été écartée car elle aurait demandé de contacter une quantité trop importante d’interlocuteurs pour obtenir des résultats probants. Par ailleurs le fait d’expliquer les objectifs aurait faussé les données sur un sujet qui peut prêter à polémique. Un questionnaire aurait emprisonné les réponses sur un problème sujet à des représentations confuses. La collecte de données à donc été effectuée à partir de bases bibliographiques.
La première partie précisera la notion de " situation de handicap " à partir de laquelle les chercheurs internationaux contactés par l’OMS travaillent.
En second lieu, nous préciserons l’importance de ces définitions et les interprétations qu’elles ont induit. Les quiproquos entre l’approche médicale liée au sanitaire et l’approche sociale seront catégorisés au travers de l’analyse des textes. Deux ouvrages seront utilisés, tous deux coordonnés par le Centre Technique National d’Etude et de Recherche sur les Handicap et Inadaptations à dix ans d’intervalle à propos du même sujet.
Dans la troisième partie, nous évoquerons l’émergence de l’activité et l’apport possible des nouvelles théories issues de la réflexion des Québécois au travers des travaux de l’anthropologue P. Fougeyrollas. Nous tenterons de percevoir quelle place tient l’activité dans ses concepts et la méthodologie particulière qui sous-tend son explication de l’avènement du handicap.
Le quatrième chapitre présentera les spécificité mises en avant par les ergothérapeutes au travers des définitions de la profession, d’une analyse historique. Elle précisera le sens particulier donné à l’activité qui nous conduira à évoquer les valeurs de l’ergothérapie, le processus méthodologique, le positionnement institutionnel et l’état de la recherche... Tend-elle vers une spécificité scientifique ?