Que dire de ce troisième opus d’Antoine Chainas ? Déception est le premier sentiment qui m’est venu à l’esprit. L’histoire est convenue et le propos ne tient pas la durée du livre, pas plus que le fond du propos. Le nœud de l’histoire repose sur un personnage héros insensible à la douleur suite à un accident de la route. Ce qui m’a gêné dans Anaisthêsia, c’est la confusion, ou plus exactement, la non distinction, entre sensorialité et sensibilité. Il ne ressent pas la douleur, mais le problème est que la dimension sensitive est complètement zappée. Ors, ne pas ressentir la douleur en tant qu’elle est du registre de la sensation, et non pas des sentiments, fait que ce livre est raté car il loupe complètement cette double logique, celle qui fonde notre humanité. L’histoire évolue dans un entre-deux permanent. Le héro, Désiré St Pierre, d’origine africaine vit dans une société blanche et rationnelle tout en étant confronté à ses racines magiques, tentant de les nier au travers d’un rapport conflictuel avec sa mère qui possède les clés d’accès à ce monde des esprits. De même, la société qui accueille cette histoire est un no man’s land dans lequel évoluent plusieurs niveaux de réalité, certains ayant des points de jonction, d’autres étant totalement indépendants les uns des autres. Pour autant, tous ces niveaux, tous ces entre-deux, ne sont pas mis en perspective dans ce livre. Par moment, j’ai l’impression que certains ne sont que des prétextes et non des alibis. Comme évoqué ci-dessus, ce mélange entre science dure, magie noire et dressage Pavlovien effréné, ne prend pas. La complexité des situations n’en reste qu’au niveau du compliqué. Serait-ce lié justement à un excès dans ce livre ? Peut-être qu’à vouloir trop mettre d’éléments différents, hétérogènes, a fait que chacun d’eux n’a pu être que survolé, ne permettant pas ainsi de creuser en épaisseur les personnages et les situations.
L’homme est ainsi fait qu’il évolue en permanence entre le biologique - le besoin - qui est que nous sommes des animaux, et notre part d’humain qui nous oblige à nous soumettre à nos désirs, à ce qui n’est en aucune manière indispensable à notre vie. Georges Bataille a eu cette géniale expression : « de l’utilité de l’inutile ». Et oui, confondre allègrement sensation et sensibilité fait que ce livre est foutu, que les descriptions physiologiques, les points de vue purement factuels, au delà de leur aspect intrigant au début du livre, lassent très vite car justement, notre héros perd toute humanité et se confond avec une histoire policière facile où nous retrouvons les aspects classiques d’Antoine Chainas, mais sans le jus qui a fait la valeur de ses deux livres précédents.
Le style est toujours brillant, la prose toujours fulgurante, mais le fond est loupé ce qui me fait d’autant plus mal au cœur que s’il arrivait à allier cette connaissance de l’humain qui mixe, mélange, marie, communie, le besoin et le désir, cet opus pourrait prendre un dimension folle.
Ne rien sentir ne donne aucune clé dans ce livre à ce que le héros ressent. Est-on en vie juste parce que l’on sent les choses, ou est-on homme parce que nous les ressentons ? L’homme est ainsi fait qu’il acculture toute sa vie inventant ainsi des pans entiers de cette vie qui dépassent le simple besoin. Nous avons certes besoin de manger, mais pour autant, nous avons inventé le foie gras, le Côte du Rhône qui ne sont pas indispensables à notre besoin ; mais oh combien indispensable à notre humanité. Nous n’avons pas plus besoin de la littérature, de la poésie, de la musique, mais sans elles, que serions nous ? Dans le même ordre d’idée Chainsasienne, nous n’avons pas besoin du porte-jarretelles, du sex toy, pour nous reproduire, mais que serions nous sans ce passage entre génitalité et sexualité ? Décrire n’est pas comprendre, pas plus qu’expliquer n’est pas expliciter.
Chainas, Antoine. Anaisthêsia. Paris : Editions Gallimard, 2009.