Article publié initialement dans l’ouvrage : Expériences en Ergothérapie, 20è série, 2007, chez Sauramps Medical, Montpellier.
L’évaluation écologique
L’évaluation écologique est une nouvelle modalité de l’évaluation apparue il y a une vingtaine d’années dans le monde de la santé et du handicap. Elle résonne de façon récurrente, notamment chez les ergothérapeutes et les neuropsychologues. L’origine principale de cette notion d’évaluation écologique se trouve au niveau des sciences cognitives, de la psychologie et de la neuropsychologie. Le terme « écologie » est polysémique et représente des réalités fortement hétérogènes. L’écologie est une science qui prend en compte les écosystèmes sociaux, familiaux et biosphèriques. Si nous nous plaçons d’un point de vue sanitaire ou médico-social, la littérature relative à la notion d’écologie, de validité écologique, est assez pauvre. Il est principalement fait référence à un modèle écologique, mais la dimension anthropologique sous-tendue dans ce modèle est peu développée et semble s’opposer à d’autres modèles anthropologiques que nous limiterons dans le cadre de cet article aux modèles médical, neuronal. Cela a pour conséquence que les évaluations, mais plus généralement la stratégie thérapeutique, entendent étudier et soigner des troubles conçus comme troubles de l’adaptation à un environnement et non, troubles associés à une pathologie. Cette opposition refléterait celle des handicaps individuels et handicaps sociaux.
En lisant la littérature, nous percevons rapidement que nous sommes en plein dans une dimension épistémologique qui réitère les oppositions nature-culture, corps-esprit… Peut-on envisager une ergothérapie qui penserait un homme en dehors d’un environnement ? Bien évidemment que non, mais pourtant, c’est ce que nombre d’ergothérapeutes semblent vouloir nous faire croire. L’homme comme structure organique vit parce qu’il est dans un environnement et les facteurs héréditaires, génétiques, ne peuvent s’exprimer que dans un environnement. Alors que dire quand il s’agit de prendre en compte une personne en situation de handicap ? Isoler une structure organique pour apprécier ses dysfonctionnements est nécessaire, mais n’en rester qu’à ce niveau de décomposition est une démarche mécaniste, de laboratoire, et jamais suffisante quand il y a de mis en jeu la qualité de vie de la personne. Mais a contrario, n’en rester que dans une logique globalisante est tout aussi réducteur. Comme nous le verrons, c’est par le jeu dialogique des éléments et des interactions que nous pouvons sortir de l’impasse qui nous fait croire que nous pourrions être non-écologique si nous sommes dans la logique biomédicale. Comme l’affirme depuis de nombreuses années avec justesse Gabriel Gable [1], rééduquer en tant qu’acte à visée réadaptative, implique une connaissance fine des éléments organiques et des structures afférentes pour pouvoir comprendre, et donc inventer, une démarche spécifique à la personne que nous rencontrons dans ce colloque singulier de la clinique. Toujours est-il que lors d’un infarctus du myocarde, je veux effectivement que l’on s’occupe de mon cœur, mais de toute façon, une fois remis de ce choc, la rééducation prendra de fait, ne serait-ce que par des entretiens avec le médecin, mon contexte de vie — donc mon environnement — pour me signifier de diminuer drastiquement tout ce qui fait le plaisir de la vie, c’est-à-dire, la crème fraîche, l’apéritif et autres gourmandises. Le cardiologue a-t-il une démarche écologique ? Et dans l’affirmative, existe-t-il des thérapeutes non écologiques ?
Néanmoins, ce n’est pas si simple que cela, notamment, si l’on pense évaluations. Il vient spontanément à l’esprit des termes comme bilan, entretien, mise en situation d’activité, exercice, mais ce sont principalement les façons de recueillir des données qui prévalent dans ces termes. Certes, l’évaluation est un recueil de données, recueil qui passe effectivement par des méthodes différentes [2] – à nouveau bilan, test, entretien, questionnaire… - mais cela reste toujours du recueil d’information. Il s’agit lors des évaluations de mettre en valeur tels ou tels points, tels ou tels éléments d’un homme (biologique, sociologique, environnemental, psychologique, praxéologique…) et ces évaluations ont lieu dans un cadre spécifique (bureau du médecin, lit du patient, salle d’ergothérapie, ville…). La spécificité revendiquée par les évaluations écologiques est la dimension diffuse des objets, des items évalués chez et par la personne. Alors que les évaluations de type médicales sont centrées sur la personne, les évaluations écologiques élargissent les champs d’investigation, certes à la personne, mais aussi à son entourage tout aussi bien humain que matériel. Il y a donc un regard élargi sur la situation de la personne en souffrance. Mais comme nous l’avons pointé plus haut, peut-on envisager un homme uniquement que comme un cerveau sur jambe ?
Il y a donc trois éléments pour l’évaluation : le modèle anthropologique sous-jacent, la méthode utilisée pour recueillir les données et le contexte. Il semble que ce soit sur ces trois points que différerait l’évaluation dite écologique, mais nous verrons qu’il y a d’autres aspects spécifiques à ce nouveau genre d’évaluation. Enfin, n’oublions pas que l’évaluation écologique ne peut se penser et se pratiquer, que si nous avons une thérapie écologique.
Connaissance
Puisque la littérature écologique se réfère principalement à la dimension évaluative, commençons ce propos sur quelques brèves réflexions relatives à la connaissance, entendu que l’évaluation consiste à mettre en valeur un ou des points d’un objet étudié en vue de connaître ce dernier.
Connaître est le fait de définir un objet et de dire quelque chose de cet objet de connaissance. Cela passe par des processus cognitifs et psychiques qui font des comparaisons, des différences, des oppositions, des classements, des associations… et ce, sur différents plans de rationalité (Gagnepain, 1993) [3]. Ces opérations intellectuelles supposent que les objets aient une certaine forme, des qualités, des propriétés. Ces propriétés sont autant de variables dont certaines se retrouvent dans différents objets comme la masse, la couleur… Mais, ces variables sont aussi propres à certaines catégories d’objets. Pour ce qui concerne des éléments de type comportement, désir, sociabilité…, ceux-ci ne sont pas accessibles directement par nos sens, les instruments de mesures comme le goniomètre, le scanner. Ces éléments ou variables sont dénommés variables latentes et impliquent des outils d’évaluation spécifiques. Connaître est donc trouver des variables communes et des variables propres. Ce mot de « variable » choque certaines oreilles car il renvoie aux mathématiques et est utilisé principalement par les sciences dures. Mais ce n’est que le synonyme d’item, d’élément, alors utilisez celui qui convient car c’est la démarche qui prime. Ensuite, cela consiste à apprécier les valeurs de ces variables afin de comparer, comparaison entre des individus en lien avec une norme ; mais aussi comparaison à des temps différents pour une même personne, pouvant être, le cas échéant, en dehors d’une norme socialement construite. Un objet est donc un tout composé de parties ou éléments, ou variables, ces parties sont définies par celui qui observe et contenues par l’objet. En effet, c’est l’observateur qui définit le découpage, le niveau de granulométrie, qu’il veut prendre en compte dans l’évaluation de cet objet. C’est par cette opération de transformation d’un objet en partie [4] – aussi appelée opération d’analyse – que l’homme a accès au monde qui l’entoure et qu’en même temps il crée le monde [5], un monde culturel et non naturel, un monde de désir et non exclusivement de besoins, un monde où ce qui prévaut c’est « l’utilité de l’inutile » comme l’écrivait Georges Bataille.
L’évaluation, en tant qu’elle est acte de connaissance, a deux fonctions parallèles. L’une vise la connaissance « pure », la construction intellectuelle ; l’autre vise la connaissance « pragmatique », concrète. La première est dite spéculative, scientifique. Elle a pour objet de connaître pour comprendre, formuler des hypothèses, envisager, penser et définir le monde. C’est à ce niveau que se conçoivent les paradigmes, que l’on pose pour vrai tel ou tel raisonnement, connaissances. Pour l’ergothérapie, nous retrouvons, par exemple, le paradigme « personne – environnement – activité », le paradigme « ergon » d’Isabelle Pibarot. Ici se combinent l’analyse, décomposition d’un objet en partie pour le connaître le plus finement possible, mais aussi la synthèse qui est la perception du tout pour comprendre l’unité de l’objet étudié. Ces deux mouvements de la pensée – analyse et synthèse – sont indissociables car ne voir que les parties ne fait que démonter l’objet d’étude. Ne percevoir que l’ensemble ne donne qu’une perception globale, mais floue de l’objet. C’est par la décomposition et par la réarticulation des parties que l’on peut connaître au mieux (Ardoino, 1 999).
La deuxième fonction a pour objectif la connaissance pour agir. Comme toute action s’effectue obligatoirement dans un contexte, un environnement, cette connaissance pour agir est tout autant morale que pratique. Elle est le comment « bien » agir compte tenu des objectifs implicitement et/ou explicitement fixés. Nous trouvons ici la déclinaison en outil des paradigmes cités au paragraphe précédent. Pour les paradigmes cités précédement, nous avons la M.C.R.O. [6], la triangulation ergothérapeute – patient – activité. La démarche de connaissance est ici guidée par la visée, les objectifs pratiques. Il s’agit de connaître pour agir au mieux, éclairer les choix à effectuer avant toute action. Dans la connaissance pour agir, il y a le style d’agir (Clot, 2 002), le « bien » agir car l’autre est présent, il y a l’art de vivre et non la certitude, le pour-quoi faire et non exclusivement le pourquoi, la cause de l’activité.
L’évaluateur doit avoir en tête dans quelle logique il se situe : évaluation à visée de connaissance ou à visée d’action ? En outre, l’évaluateur doit connaître la langue de la science convoquée pour cette évaluation. En effet, chaque science a sa langue propre qui fait que le mot « mémoire » par exemple, n’a pas le même sens en sciences cognitives, en sociologie… En plus, chaque science a ses modes de démonstration, de recherche, de connaissance.
La multiplication des moyens de connaissance, le développement de la précision des outils, permettent une connaissance plus fine des objets. Mais en même temps, cela implique un émiettement des connaissances peu propices à la synthèse et rend difficile la communication, les relations, entre les différentes sciences convoquées autour d’un objet. La compréhension comme double mouvement de l’analyse et de la synthèse se place dans une épistémologie de la complexité, de l’interdisciplinarité, voire de la transdisciplinarité. Mais nous savons que cette épistémologie a du mal à percer eu égard aux guerres de clocher universitaires (Guihard, 2 002).
Lorsque nous observons un objet « naturel », c’est-à-dire non-transformé par l’homme, notre connaissance est principalement axée sur les propriétés, les qualités intrinsèques de cet objet, sur ce qui le constitue en tant qu’objet en soi. Si nous évaluons un objet créé, transformé par l’homme, nous pouvons le regarder, l’évaluer comme l’objet « naturel ». Mais nous y ajoutons aussi, dans la connaissance pratique, une évaluation du « pour quoi faire » de cet objet. Pour quoi a-t-il été conçu ? Pour quoi a-t-il cette forme ? Cet objet a-t-il une finalité propre, générique ? Si nous prenons l’exemple d’un fauteuil roulant manuel, il a des propriétés « naturelles » de type masse, résistance, dimension… Nous devons les prendre en compte pour choisir le produit le mieux adapté à la morphologie (donnée naturelle aussi) de celui ou celle qui l’utilisera. Mais au même temps, nous évaluerons le pour quoi faire de ce fauteuil roulant. En vue de quoi a-t-on prescrit ce fauteuil ? La personne en a-t-elle besoin pour se déplacer à l’extérieur ? Si oui, quel type d’extérieur ? Il s’agit donc d’une évaluation pratique, pour agir. Il faut donc penser ensemble ces deux logiques non réductibles l’une à l’autre.
La science, qu’elle soit dure ou molle, cherche à constater, déterminer, interpréter des phénomènes observables. Ces derniers sont, soit accessibles directement à nos sens, soit par l’intermédiaire d’outils d’observation spécifiques. La science est basée sur une caractérisation des phénomènes observés par l’intermédiaire du nombre, de la mesure chiffrée. Cette idéologie est renforcée depuis trente ans par le développement considérable de la notion d’étalon, de référence, par l’entremise de la monnaie devenue l’étalon absolu, presque divin puisqu’en dehors de toutes les lois, de tout État, au-delà, par-delà de toute contingence humaine, ayant une vie propre quasi divine.
La science est un discours, une langue, mais aussi un discours sur… et ce discours, il est élaboré par des hommes qui médiatisent ainsi la réalité en soi de l’objet évalué et sa perception humaine. La connaissance donnée par une science sur les différents éléments constituant un objet d’étude ne pourra jamais supprimer l’interrogation sur les finalités de cet objet. Évaluer les structures et fonctions organiques d’un homme ne doit pas nous faire perdre de vue que cet homme à une visée, un but pour sa vie ; que ce but n’est pas un donné intangible, qu’il n’est pas forcément explicite, conscient. Mais toujours est-il que nous ne pouvons faire l’impasse sur cette donnée qui est subjective, propre à chacun. Au demeurant, ce chacun ne nous fait pas ignorer les autres facteurs qui participent à notre construction identitaire et personnelle : hérédité – mais pas eugénisme -, culture, éducation, social, société… C’est donc par la mise en mouvement des connaissances de différentes parties organiques (physiologie, cognition…) en lien avec le projet de vie de cette personne que nous trouvons la « bonne » logique évaluative. Ainsi, au niveau du discours, l’une parle de « calculer, juger, saisir, mesurer, analyser… », alors que l’autre parle de « guider, accompagner, choisir, désirer, souhaiter, penser… ». La première s’adresse au corps, la deuxième au cœur, mais sans nier que ce dernier ne peut vivre sans le premier. Le support biologique est indispensable à la vie de l’espèce humaine. Ce support biologique, le corps, est « juste » porteur de capacité à le dépasser pour entrer dans la dimension psychique de l’homme. Il faut dépasser le corps machine, Cartésien, pour aller à la rencontre de l’homme législatif, Kantien, Nietzschéen, mais sans nier pour autant notre substrat biologique.
Étymologie de l’éco-
Écologie vient du grec oikia, oikos (oikia, oikos) et logos et est datée du milieu du XIX° siècle. Le Bailly donne au terme Oikia le sens de « maison, le bâtiment pour habiter » et à Oikos le sens de « l’intérieur de la maison, la famille, lieu d’habitation, de lieu de vie ». Il y a la notion de vie privée en opposition avec la sphère publique comme lieu d’expression des modalités du vivre ensemble. On retrouve ainsi la « direction d’une maison, l’administration des biens d’une maison ». Cette racine grecque (Oikos) a donné ainsi la maçonnerie (), mais aussi deux grands concepts : l’écologie et l’économie.
Le dictionnaire Chantraine complète ces définitions en précisant que les origines indo-iraniennes vïs- et vis- « s’appliquent au clan groupant plusieurs familles ; ce sens, dégradé, se retrouve dans le latin uïcus « bourg », ou germanique weihs « village ». La langue Grecques a privilégié l’utilisation de l’Oikos et l’Okia de par son fonctionnement social et de l’importance de l’opposition des sphères privée et publique. Ainsi, Oikos va répondre au domi latin ».
Le Grand Robert 1992, définit quant à lui le préfixe Éco comme « maison, habitat » entrant dans la formation de substantifs avec le sens « maison, choses domestiques » ou, plus souvent, « habitat, milieu naturel ». Les définitions données sont, dans une première dimension, relative à la science qui étudie les milieux où vivent et se reproduisent les êtres vivants, ainsi que les rapports de ces êtres avec le milieu. Dans une deuxième logique, nous retrouvons la doctrine visant à une meilleure adaptation de l’homme à son environnement naturel, vivant (animaux, plantes) et non-vivant, ainsi qu’à une protection de celui-ci.
Le terme « écologie » a été proposé par E. Haeckel en 1 866 pour désigner la science qui étudie les rapports entre les organismes et le milieu où ils vivent. Ce néologisme créé par Haeckel s’inscrit en plein dans le courant évolutionniste proposé par Ch. Darwin dont il fut un disciple.
Que pouvons-nous tirer de ces définitions et des implicites trouvés dans la littérature relative à la dimension écologique de l’évaluation et du soin ? L’évaluation écologique serait une évaluation réalisée au plus près des conditions de vie de la personne évaluée. L’ergothérapie a beaucoup théorisé cette logique en prônant, à l’instar de la C.I.F. et du P.P.H., une situation triptyque autour des trois éléments que sont : l’homme, l’environnement et l’activité. Il s’agit de prendre en compte les trois éléments de ce triptyque afin d’envisager ces trois parties comme obstacles ou facilitatrices, soit individuellement, soit ensemble. Mais, une fois dit cela, nous n’avons pas beaucoup avancé pour ce qui nous concerne. Envisager l’homme en dehors de tout lien avec son contexte de vie lors des accompagnements ergothérapeutiques serait une pure bêtise. Il faut regarder l’environnement naturel – le contexte en tant qu’il est déjà là — et en même temps, il faut apprécier « son » environnement qui peut être tout aussi naturel. Une fleur est un élément naturel, mais la tulipe de mon jardin, accède à un autre statut. Nous passons alors d’un déterminant neutre (le) à un déterminant possessif (mon). Et pour augmenter la complexité de la chose, le concept de nature est un concept créé par l’homme et ressort donc au culturel ! Serait-ce alors une aporie ? En termes ergothérapeutiques, oui, mais d’un point de vue épistémologique, c’est plus complexe. En effet, l’homme, en tant qu’il est animalité, biologie, tend à s’adapter biologiquement aux contraintes du milieu, et non pas de son milieu dans cette perspective. Mais en même temps, par ses manières d’être, d’agir, de ressentir, de s’exprimer et de communiquer, l’animal homme accède à son humanité et cette accession se fait dans un environnement double : à la fois naturel et culturel. C’est parce que l’homme médiatise le-son-notre monde par le logos, qu’il le transforme pour y vivre par la médiation technique ou ergologique et que, ne vivant jamais seul, il est aussi une personne sociologique, ethnique et que cette personne est un individu éthique (Gagnepain, 1 994), que nous accédons à notre humanité. La dimension écologique ne serait-elle pas au niveau de ces quatre plans et non sur le triptyque ?
Au demeurant, ce que nous retrouvons principalement dans ce qui est appelé évaluations écologiques, ce sont deux éléments : le premier est relatif à la cognition car les articles et ouvrages publiés ont en très grande majorité comme éléments, variables clés, les troubles cognitifs, et surtout, les fonctions exécutives. Le deuxième élément correspond à des évaluations qui se font en « vraie » situation, c’est-à-dire, qu’elle s’effectue avec une « vraie » activité et dans la « vraie » vie. Cela sous-entend donc qu’il existerait des situations en « fausse vie », voire des situations mensongères ! Effectivement, la situation en laboratoire n’est pas la vraie vie, encore qu’elle le soit au moment du passage de ces évaluations. Mais nombre de chercheurs ont tenté de comprendre dans les situations de laboratoires le sens et l’importance des variables reproduisant la « vraie » vie [7]. Egon Brunswik a ainsi promu une psychologie, certes behaviouriste, qui prend en compte avec le même soin les éléments de l’environnement comme on s’applique à étudier les éléments de l’organisme. En outre, il s’est appliqué à définir les interactions contexte-homme comme répondant, certes à des lois, mais aussi à une dimension aléatoire et probalistique, renvoyant en cela à l’incertitude, l’aléa. Nous ne souhaitons pas pour autant faire la promotion du courant behaviouriste de la psychologie car il présente de nombreux défauts. Nous souhaitons juste, par cet exemple, mettre en valeur l’un des rares endroits où la notion de « validité écologique » s’est parlée, parfois violemment. En effet, c’est au sein de la psychologie, et depuis quelques années, chez sa petite sœur, la neuropsychologie, que les recherches sur une validité scientifique du statut de l’environnement s’ébauchent, s’échafaudent, s’affrontent. Néanmoins, les recherches sont axées sur une logique cognitive, nécessaire, mais insuffisante. En effet, le sens humain des dysfonctionnements cognitifs n’est pas une variable prise en compte. Or, celle-ci nous permet de comprendre, au sens étymologique de « prendre ensemble », les modélisations intellectuelles, conceptuelles, que la personne met en forme et qui sont différentes des nôtres, afin d’entrer en relation, certes sémiotique, mais aussi axiologique, et ainsi ouvrir une porte d’entrée et de sortie pour cette personne qui se trouve être réifiée par nous dans ces troubles cognitifs.En d’autres termes, l’évaluation écologique, pour une rééducation, une réadaptation à la conduite automobile, cela s’effectuera dans une voiture et non en salle d’ergothérapie ; pour une activité cuisine, nous ferons réaliser un vrai repas et au domicile de la personne. Néanmoins, il est à noter que dans les faits, cela semble plus compliqué car certains auteurs et praticiens considèrent qu’il y a écologie à partir du moment où ce que l’on cherche à évaluer, ou à rééduquer (fonctions supérieures, troubles moteurs…), au lieu d’être isolé et traité plus ou moins analytiquement dans le cadre d’activités spécifiques, sera envisagé et traité globalement dans le cadre d’une activité écologique de type cuisine par exemple, et cela, même si cette activité est effectuée en centre de rééducation [8]. Mais pour autant, cela ne nous dégrève pas de connaître la problématique organique, structurelle, des dysfonctionnements.
De toute façon, pour le moment la littérature est pauvre sur les implications du critère ou de la variable « domicile » lors de ces évaluations écologiques. Ce que l’on retrouve dans la littérature, c’est le constat que certains patients, malgré des performances « normales » aux tests psychométriques passés en institutions, présentent des troubles importants dans la vie de tous les jours (Chan, 2005, Shallice & Burgess, 1 991). Il est mis en évidence la difficulté de définir des variables pertinentes et des conditions de passation des évaluations qui correspondent à ce que l’on cherche à mettre en valeur. En outre, l’évaluation devant servir à quelque chose, elle est une des composantes de la décision et le constat énoncé d’une discordance entre performances en centre et performances dans la vie quotidienne, ne permet pas une prédiction des compétences générales de la personne (Chevignard, 2 005) et peut impliquer un échec de la stratégie réadaptative mise en place en centre.
En effet, qui dit évaluation, dit élément mis en valeur et donc variable plus ou moins isolable et modifiable. Il faudrait alors développer une recherche sur la définition de cette variable « lieu de vie de la personne » et ensuite essayer de cerner en quoi elle est pertinente en tant que discriminant et in fine, que cette démarche sur les lieux de vie est un facteur important en termes d’efficacité de la prise en charge. Compte tenu du surcoût humain et matériel de cette démarche au domicile, est-elle de fait, plus efficiente qu’une « simple » mise en situation en centre ? Quelle est la valeur des appartements témoins ? Ce qu’il ressort principalement de la littérature ergothérapique relative à l’écologie, c’est qu’elle est basée sur le triptyque « homme – activité — environnement » (Baum, C. M, & Christiansen, C. H., 2 005) [9] et que les objectifs se focalisent sur les moyens à mettre en place pour permettre à la personne de recouvrer une activité humaine de qualité. La dimension de représentation de son monde, de son appropriation est peu présente. Ce qui importe, c’est de faire et non d’être, d’aucuns disent que la valeur de référence, c’est le travail, nous renvoyant en cela à la vieille définition de l’ergon comme travail, peine, labeur. Malheureusement, Hannah Arendt a montré la vacuité d’un tel propos et pourtant, nous nous retrouvons à nouveau dans le vieux syllogisme de l’homme et du travail. Quid alors du fait « d’être » avant tout ?
Toujours est-il que l’oikos renvoie au privé de la vie. Ce privé — la maison, la famille – s’oppose donc à la sphère publique de la vie. De ce fait, l’écologie dans cette acception serait une écologie du privé, de la vie privée de la personne. Or, que veut dire ce privé opposé au public aujourd’hui ? Serait-ce la raison pour laquelle l’écologie se trouve affublée de plus en plus de l’adjectif qualificatif « politique » comme si, effectivement, l’écologie était d’abord une affaire privée, de relation de personne à l’environnement et que la dimension sociétale, politique, de cette relation n’avait pas, de facto, à être présente dans l’écologie ? Cela rejoint en cela les arguties ergothérapeutiques qui font que cette thérapeutique est essentiellement tournée vers l’homme, le sujet, dès fois en lien avec un environnement, mais en tous les cas, jamais avec la société, la dimension politique du vivre ensemble. Comment faire de l’ergothérapie sans prendre en compte les modes de vivre ensemble des personnes que nous accompagnons. Influer sur le mode de vie est certes ce que nous effectuons quotidiennement, mais dans la mesure où nous nous adressons souvent à des personnes en situations de handicap, nous intervenons aussi sur le mode de vivre ensemble de celles-ci et donc, nous avons une action politique qu’il nous faut assumer, voire revendiquer en tant que thérapeute, mais aussi éducateur. À n’en rester qu’au niveau de l’occupation, de l’acte de faire, nous oublions que l’homme appareille son rapport au monde, le pense, se vit et est parmi les autres. Ainsi mode de vie et mode de vivre ne sont pas tout à fait la même chose et en cela, l’écologie se devrait, elle aussi, de répondre à l’acception dynamique du vivre.
Mais pourquoi ne pas utiliser le sens commun d’écologie tel que définie depuis le XIXe siècle, c’est-à-dire, le rapport entre individu et environnement ? Plus ou moins explicitement, les évaluations écologiques se situent dans le paradigme bio-psycho-social développé par Engel pendant les années 1960-1970 en opposition à un modèle biomédical, nécessaire, mais perçu comme dangereux tellement il était prédominant, hégémonique. Alors pourquoi perdre du temps à faire des circonvolutions étymologico-théoriques puisque l’affaire est déjà faite ? L’évaluation écologique est une évaluation qui s’effectue dans la sphère privée de la personne en lien avec son environnement personnel, professionnel, social ! Et bien, c’est justement parce que l’affaire semble faite qu’il faut interroger ces implicites, ces pour-quoi faire de ces nouvelles modalités d’évaluation, de soins, car en n’en rester qu’au niveau d’une doxa bien pensante, ce nouveau paradigme écologique du monde sanitaire risque de devenir un paradogme faute d’autocritique.
Il est par ailleurs intéressant de noter que, pour le moment, il n’est que peut fait allusion aux soins écologiques, comme si cette démarche était initiée, valorisée par les thérapeutes qui exercent en institution. En effet, le thérapeute qui pratique au domicile, à l’école, ne se pose pas la question de la pertinence du lieu dans lequel il pratique. Peut-on en déduire que ses évaluations, ses prises en charge sont écologiques ? L’exercice libéral est donc, de facto, un exercice écologique. De même, les évaluations des enseignants sont-elles écologiques ? Serait-ce alors le lieu qui conditionne l’écologéïté de la situation ?
Cela dit, il semble que la notion d’écologie ait son importance au-delà des effets de mode car elle implique la prise en compte forte du patient qui vient porteur de sa maladie, de son trouble, mais aussi de son histoire, de son environnement comme source de son humanité, comme résultante de l’altérité, non pas indispensable, mais constitutive de nous.
Il faut alors peut-être en passer d’abord par cette première affirmation de la prise en compte de l’environnement pour ne pas froisser les habitudes et en venir doucement, mais sûrement à la définition d’un vrai statut à l’environnement.
Comment faire une thérapie écologique ?
Quand bien même c’est l’expression « évaluation écologique » (ecological assessment) que nous retrouvons principalement dans la littérature, il nous paraît évident que nous devons penser en termes de « thérapeutique écologique » si nous voulons exprimer une certaine cohérence dans nos démarches. Si nous nous mettons dans une logique thérapeutique, nous devons dérouler le principe classique de la démarche : visée, évaluation, objectifs, moyens et évaluation à nouveau.
Cela implique une connaissance de la personne concernée et donc, un découpage de celle-ci et différents éléments constitutifs. Ce découpage indispensable, c’est de la responsabilité du thérapeute de le faire, de le définir. Ensuite, il y a de réalisé une synthèse de ce découpage afin d’avoir une vue unitaire de cette personne. Ce découpage peut donc se faire de différents points de vue et un de ceux-ci est un point de vue dit « écologique ». On peut ainsi schématiser les deux grands axes d’évaluation :
Tests neurophysiologiques | Évaluations écologiques |
---|---|
Milieu fermé et structuré. | Situations ouvertes. |
Monotâche. | Multitâche. |
Limite les situations de frustration. | Génère des situations de tension. |
S’effectuent à l’abri des sollicitations extérieures, absence de parasitage, de source de déconcentration. | Impact fort et multifactoriel des sollicitations, de la motivation. |
Déroulement linéaire, durée brève. | Temps long, librement contraint. |
De cette distinction, nous trouvons deux anthropologies principales que nous retrouvons dans la littérature. Ces repérages, nous les avons faits en regardant les catégories principales dans les évaluations proposées. En effet, ce découpage en catégorie d’éléments à évaluer nous donne un aperçu clair de la façon dont l’homme est envisagé.
Une première relève d’un homme découpé en corps, psychologie et social. En d’autres termes, les évaluations nous proposent de recueillir des données sur les capacités physiques, physiologiques de pouvoir effectuer les actes qui sont demandés dans ces évaluations (ex. porter une casserole, battre au fouet de la farine et des œufs…). Ensuite, il est évalué plus particulièrement, les capacités cognitives à comprendre et exécuter d’autres tâches. Enfin, sont éventuellement, car ce n’est pas systématique, évaluées les capacités sociales à faire telle ou telle tâche demandée. La mise en corrélation des données recueillies est soit prévue dans le protocole même de l’évaluation, soit laissé au thérapeute, notamment, quand ce dernier à fait le choix de combiner différentes évaluations ensemble. Nous sommes dans une logique biomédicale avec découpage en points spécifiques à évaluer séparément avant de reconstruire le tout à partir de ces évaluations fragmentées. Nous sommes dans une logique de l’analyse car la reconstruction de la personne est une addition des éléments étudiés pour la concevoir de la même façon qu’avant cette déconstruction.
La deuxième serait de type C.I.F. ou P.P.H.. Cette anthropologie pose d’emblée le lien entre les différentes catégories proposées dans ces modèles. Le point commun est la notion d’interrelation entre différents aspects de l’homme, interrelations qui s’expriment en termes de facilitateur ou d’obstacle dans la situation de handicap. Nous sommes dans une logique bio-psycho-sociale dans laquelle ce sont les liens, les relations qui primeraient sur les catégories proposées (biologique, activité, participation, environnement). Au demeurant, la nature de ces liens n’est pas définie et l’environnement est toujours défini comme extrinsèque, comme un donné intangible, un objet en soi.
La difficulté sur le terrain est que des ergothérapeutes utilisent des tests neuropsychologiques de laboratoire en situation de vie quotidienne et inversement, des ergothérapeutes utilisent les évaluations basées sur la C.I.F. en centre. Il y a alors mélange des genres peu propice à une pertinence et une cohérence, à tout le moins paradigmatique, mais surtout thérapeutique ou réadaptative. En effet, l’évaluation, quelles qu’en soient les modalités, doit être référée à l’anthropologie sous-jacente décrivant une personne. C’est en effet l’épistémologie choisie qui guide le choix méthodologique de ces évaluations. Une fois cette réflexion méthodologique effectuée (Guihard, 2 006), la dimension méthodique – c’est-à-dire, le choix d’une méthode d’évaluation – peut intervenir.
Le problème aujourd’hui est qu’il n’y a pas, ou très peu d’étude comparant les évaluations en centre avec celles effectuées in vivo. Caroline Bottari et Coll [10] ont publié un article en 2006 dans le journal d’ergothérapie australien. La conclusion principale de cette étude est décevante car elle ne pointe que l’impossibilité de comparer les articles d’un point de vue méthodologique n’allant pas questionner le fond du problème, le statut de l’environnement. Il est certes important de mettre en avant l’impossibilité méthodologique de pouvoir comparer des articles méthodologiquement incomparables, mais n’en rester qu’à ce niveau de recherche ne peut que laisser perplexe. Constatant le peu d’étude sur le sujet, une porte d’entrée aurait été d’interroger cette absence de statut partageable. Mais cela doit être ma tournure d’esprit qui doit être, justement, mal tournée. Mais est-ce si étonnant que cela pour des Anglo-Saxons qui croient dans les vertus de la science basée sur la preuve, preuve de fait toujours le vrai absolu, irréductible à la vérité et qui ne peut être réfutée. La preuve se veut être l’objectivité parfaite, donc neutre, dégagée de toute subjectivité et donc de toute humanité. Elle est la dimension naturelle du contexte et nie en cela la part culturelle, et donc humaine, de ce même contexte. Malheureusement, nombre d’ergothérapeutes ont emboîtés le pas sans interroger les valeurs sous-jacentes, l’objectivité est tellement rassurante.
Les évaluations, qu’elles soient tests ou écologiques, ont en commun leurs validités méthodiques en termes de fidélité, de sensibilité… En plus, souvent, elles se proposent de mesurer la même chose. Alors qu’elle est la différence ? Comme évoqué plus haut, le postulat des évaluations écologiques s’est construit sur le constat que des personnes évaluées en centre par des tests, notamment pour ce qui est des fonctions dites exécutives, ont eu de bons résultats à ces tests ce qui permettait aux neuropsychologues de prédire un comportement adapté vis-à-vis des fonctions exécutives dans la vie courante. Il fut constaté que tel n’était pas le cas. C’est ainsi que des évaluations écologiques ont été créées afin de compléter celles passées en centre.
Quand je construis une évaluation écologique, je décide du lieu utilisé pour cette évaluation. Quel est alors le statut épistémologique de ce lieu ? Quel est son statut cognitif par exemple de la rue utilisée dans le cadre du test des errances multiples ? Ce regard est un implicite, mais est exprimé dans le choix que je fais de tel ou tel point de vue. Si je prends une rue que je connais, je réfère à l’histoire, mon histoire. Je compare, certes à un comportement normal, validé par le test. Mais en plus, je compare à ce que je fais moi-même quotidiennement. Mais, je compare aussi par rapport à ce que je connais, certes des commerces, mais aussi des commerçants, voire le cas échéant, à des clients que je peux croiser lorsque je fais mes courses.
Choisir une perspective, même si nous avons un certain cadre dans le mode d’emploi du test, peut aussi être regardé d’un point de vue sociologie. C’est une rue inconnue géographiquement et architecturalement du patient. Mais dans quel quartier ai-je choisi cette rue ? Un quartier socio-professionellement comparable à ceux fréquenté par mon patient ou radicalement différents ? Comment prend-on en compte ce critère dans l’interprétation des résultats recueillis ? En outre, que dire des types de courses à faire ? Quelle place dans la vie du patient représentent les magasins dans lesquels il doit entrer ? De même, que fais-je de ce point dans l’interprétation ?
Quel statut dois-je inclure dans le cadre d’une évaluation écologique par rapport à l’environnement ? Mais aussi, doit-il en avoir un ? En d’autres termes, par rapport au test effectué en centre, est-ce uniquement la multiplication des actions (task) qui diffère dans les différents tests écologiques ? En fait, c’est le statut de l’environnement qui pose problème, qui est ambigu. Il importe, mais pas trop. La difficulté est d’apprécier ce « pas trop ». Toujours est-il que cela renvoie au statut épistémologique de l’environnement : physique et donc physicien, géographique et donc géographe, social et donc sociologue par exemple (Brunswik, 1 956).Dans un test ayant des composants multitâches, on peut considérer l’environnement comme ayant, en autres qualités, une dimension probabilistique. Les murs, les trottoirs sont en place, fixes, mais ce sont les seuls éléments objectifs. Tout le reste fluctue (nombre de passants, météorologie, humeur du moment des commerçants…). Et bien sûr le regard du patient sur cette rue. Lui rappelle-t-elle quelque chose, une personne particulière, une situation déjà vécue, une autre rue…
En outre, devons-nous prendre en compte comment nous nous organisons, adaptons, à un environnement donné. L’impact de l’écologie renvoie à l’adaptation, l’adaptabilité de l’organisme, mais aussi du rôle du psychologique dans cette adaptabilité car c’est le psychologique qui fait que le patient perçoit l’environnement comme « vraie vie » ou pas. Il existe des situations où cela paraît évident, notamment quand les tests sont effectués en laboratoire, en centre. Cela devient plus flou en atelier cuisine en centre car c’est une vraie activité et l’évalué oublie le cadre de l’évaluation à partir d’un court moment. Cela est encore plus vrai en situation écologique. Au début du test, nous sommes en vécu partagé d’évaluation car nous donnons les consignes, expliquons la situation. Mais pendant le test, le patient peut oublier cette situation d’évaluation compte tenu des multiples sollicitations, des difficultés…
Beaucoup de ces questions renvoient à une situation intermédiaire entre le test en laboratoire et la situation écologique : la simulation, les simulateurs. Ceux-ci sont utilisés dans de nombreux métiers qui, potentiellement, impliquent la mise en danger d’autrui, cet autrui étant au pluriel, et ce, par l’utilisation d’outils de type avion, train, nucléaire… Il participe à un processus d’apprentissage où il apparaît nécessaire de mettre la personne en situation d’agir, de faire. On reproduit des situations réelles dans lesquelles sont manipulées des variables réelles que l’on réintroduit de façon plus ou moins aléatoire. Cet aléatoire lié à la gestion des situations, des scénarii, est apporté par le pilote du simulateur (cela pose le problème de l’humanité des variables).
Une déclinaison en est le monde virtuel des jeux vidéo qui arrive à reproduire un contexte avec des codes culturels suffisamment fort (image, bruitage, musique) pour que l’on s’y croie et que l’on soit complètement immergé quand bien même, nous savons que nous sommes dans un contexte où nos actions n’ont pas de conséquence sur la vraie vie.
Les environs
Partons du principe que l’idée d’écologie qui nous concerne dans cet article, touche à l’humain puisque nous ne sommes pas vétérinaires. Ensuite, considérons que l’humain agit, pense et existe dans une société donnée. Nous devons donc prendre en compte les troubles de la pensée, ceux relatifs à l’agir, ceux qui modifient notre possibilité d’être en relation avec les autres et enfin, ceux qui agissent sur notre personnalité. Comment faire un choix parmi ces quatre niveaux si l’on se prétend dans une logique écologique, c’est-à-dire, dans une prise en compte de l’humain comme unité ? Nous pouvons nous focaliser sur un niveau plus spécifiquement, mais nous ne pouvons nier les autres car tous ressortissent d’un même humain et tous ont un impact sur les autres. Au-delà de ce propos banal, cette proposition d’un découpage en quatre plans vise à poser le fait que de toute façon, il n’y a pas d’environnement qui serait extrinsèque et un autre qui serait intrinsèque.
L’environnement est fait de mots qui définissent le monde, le parle, le pense. Ces mots ne sont pas humains car nous ne parlons pas l’humain, mais des langues et celles-ci déterminent, par nos capacités linguistiques, des sens. Ce propos en est un bon exemple car nous parlons « environnement » mais nous ne disons pas tous la même chose avec ce mot.
De même, l’environnement est fabriqué, modifié par l’homme. Il est construit et nous renvoie à notre capacité à outiller notre relation au monde. Nous sommes nés nu dit Prométhée et tout notre rapport est outillé, que cela soit par nos vêtements, nos chaussures, nos maisons… Toute notre vie est outillage y compris dans toutes nos tâches de vie quotidienne. Cela renvoie certes à la technicité, à la dextérité, mais avant tout à l’efficacité en tant qu’elle est rapport aux modes d’emploi par l’analyse réciproque de l’outil, de la situation et de la visée.
Mais l’environnement est social car nous vivons toujours ensemble et nous co-construisons cette société. Il est social, mais aussi historique et politique. Nous vivons avec des normes, des codes sociaux et nous savons en jouer, utiliser les bons codes au bon moment. Nous n’avons pas les mêmes relations au travail que dans la sphère familiale, à l’hôpital que chez soi. Il s’agit d’appartenance, de responsabilité.
Enfin, l’environnement est singulier en ce que nous y vivons comme sujet autonome, c’est-à-dire, comme investissement de nos désirs et de notre capacité à ne pas tout faire. Nous produisons de la morale, du droit, de la règle qui font que nous nous autorisons à être face aux autres. Il s’agit de volonté, de liberté et de culpabilité qui sont à la fois, moteur et frein en même temps.
L’environnement en lui même, comme objet extrinsèque n’existe pas car nous vivons toujours quelque part. S’il doit y avoir une évaluation écologique et une thérapie écologique, c’est donc par rapport à ces quatre plans que nous devons penser notre écologie, que nous devons la mettre en place, donc l’agir et donc l’outiller. Ensuite, si elle doit exister, elle devra se confronter aux autres et cela implique que nous ayons une volonté suffisante pour la proposer aux regards des autres.
Si nous interrogeons les différentes caractéristiques de l’environnement, voici ce que nous pouvons dessiner en appliquant une partie de la grille de lecture de J. Gagnepain. Il va sans dire que l’environnement doit être vu par ces quatre « si » en même temps, quand bien même nous nous focaliserons sur un plan plus qu’un autre. Ils sont irréductibles les uns aux autres.
Environnement : | ||
---|---|---|
Si pensé | Connaissance, représentation | Logos, langage |
Si construit | Artifex, architecture, industrie… | Fabriqué, ergologie, art |
Si sociétale, communautaire, familiale | Sociologie, anthropologie, Personne | Société, ethnique |
Si personnel | Axiologie, droit | Morale, éthique |
Tous ces points de vue passent par la médiation de différents plans de rationalité humaine que sont le logos, l’ergon, la sociologie et la loi. Compte tenu du fait que l’environnement est tout cela à la fois, ce découpage en quatre plans n’est là que pour indiquer les axes d’évaluation à mettre en place pour envisager un statut humain à cet environnement qui passe, de ce fait, toujours par la médiation de ces plans de rationalité. L’homme n’a pas accès directement à la nature, nous pouvons y accéder par la vue, mais une fois vu, nous médiatisons ce que nous voyons par notre logique, notre capacité à connaître, à comprendre. Et comme nous ne sommes pas des contemplatifs permanents – et encore que la contemplation soit en elle-même une activité – nous agissons sur et dans un monde par notre corps et la médiation de nos créations. Comme précisé plus haut, nous agissons dans le monde, mais toujours avec les autres et donc nous médiatisons notre relation aux autres par nos capacités sociologiques, législatives, ethniques car nous ne vivons pas n’importe où, mais dans un contexte fait du droit, d’interdits, qu’en même temps nous actualisons. Et tout ceci nous fait individu, personne singulière, capable de gestion de frustration, de concevoir, d’élaborer des lois et de les éprouver.
Conclusion
Notre propos sur ces évaluations écologiques montre que nous devons d’abord penser en termes de thérapeutique écologique si nous souhaitons reprendre cette expression d’écologie. Cela pose la question du statut de cet environnement et indique qu’une partie de l’exercice de l’ergothérapie est de fait écologique lorsque nous intervenons au domicile des personnes que nous accompagnons. Cela dit, nous avons évité de répondre à cette question. En effet, pour nous, elle ne se pose pas car nous ne pouvons pas être en dehors de cette logique. Quand bien même nous utilisons des situations artificielles en centre, à l’hôpital, notre démarche à toujours pour visée un lieu de vie et donc un contexte. Comme nous l’avons dit, l’homme pense (logos), ne peut s’arrêter de penser, de même il fait toujours quelque chose (activité) avec quelqu’un (participation) et dans un contexte (sociologie) et c’est en ce sens qu’il est humain (personne). Mais, nous pouvons aussi le dire à la façon de la C.I.F., même si pour nous il manque un élément, l’homme est un corps (structure et fonction) qui fait des choses (activité) avec d’autres personnes (participation). Alors, l’environnement est-il extrinsèque ou intrinsèque ?
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