Vous êtes ici : Accueil du site > Articles
3 votes

L’évaluation : faisons le bilan…

GUIHARD Jean-Philippe

Mis en ligne le mardi 9 septembre 2008 à 12h03, par guihard

Ref. : Guihard J.-Ph., 2008, Ergothérapies, ANFE, Paris, vol 32, pp. 49-59

La demande forte d’évaluation est la conséquence d’une contingence économique puissante qui a pris le dessus sur le médical de nos pratiques. Nous ne sommes plus dans le bio-psycho-social pour reprendre une expression à la mode, mais dans le bio-psycho-fiscal car les critères médicaux se voient octroyés d’un nombre croissant de paramètres financiers qui se réfèrent à l’étalon universel : la monnaie..

L’évaluation pose la question de l’appartenance à un monde particulier, c’est-à-dire, en quoi et pourquoi tout cela appartient-il à un monde donné et renvoie à comment tel ou tel monde se représente à d’autres, est appréhendé par eux. En effet, l’évaluation, c’est décrire une partie du monde. Quand j’évalue, je recueille des informations, des données sur une situation, une personne et ces données forment une description de ce que j’observe. Cette observation formalisée fait que ce que je décris apparaît devant moi, fait que je crée un monde nouveau car l’observation m’a fait voir les choses différemment.

L’évaluation est donc un recueil de données qui nous permet de connaître un objet étudié. Ce recueil de données utilise des outils différents et implique ensuite une interprétation des résultats obtenus. Cette interprétation se fait en lien avec l’objectif sous-tendu par cette évaluation car nous évaluons toujours pour quelque chose et pour quelqu’un. Cela semble si simple, mais pourtant…

Once upon a time… [1]

Le succès de ce mot tient à ce qu’il passe partout, en économie, en médecine, en pédagogie, en justice… Il est neutre, peu connoté affectivement à la différence de mots comme bilan, contrôle, jugement, diagnostic. Évaluer est suffisamment flou pour que chacun puisse y mettre tout ce qu’il veut, voire tout ce qui l’arrange. De sa racine latine (valeo, valere) s’est dégagé deux termes forts à notre époque : valeur et valoir.

Jusqu’au XII°s, valeur se dit, soit des qualités, mérites d’une personne comme valeur positive : « un homme est valeureux, fort, brave… » ; soit des qualités positives d’une chose. Valeur était employée pour mettre en valeur, donner de la valeur à quelqu’un, à quelque chose. Mais Valeur de ce fait, renvoie à la qualité d’être en bonne santé, de bien se porter, être en bon état. Valeur de part son étymologie valeo est donc en lien avec la santé. Par exemple, valetudinarium renvoyait à infirmerie, hôpital, principalement en lien avec la dimension militaire car les hôpitaux civils n’existaient pas en tant que tel dans les textes retrouvés.

À partir du XIII°s, un petit glissement sémantique s’opère. Valeur renvoie à la capacité d’une chose à pouvoir être mesurée pour pouvoir être échangée. On retrouve ainsi un autre dérivé de valeur : équivalent. Mais ce n’est qu’au XVII° s que la notion de prix, de valeur fiduciaire apparaît. Cette dimension se retrouve encore dans la T.V.A. (Taxe à Valeur Ajoutée) par exemple. Il s’agissait principalement d’utiliser « valeur » et ses dérivés, comme qualificatif positif d’un homme ou d’une chose, pour le ou la mettre en valeur pour elle même ou dans une perspective d’échange, étant entendu que plus une chose est mise en valeur, plus sa valeur d’échange est bénéfique à son propriétaire. La valeur et l’évaluation des hommes sont des choses factuelles, reposant sur les faits. Un homme est dit valeureux de part les faits qu’ils a accomplit, les choses ont de la valeur d’échange de part le fait d’échange.

Néanmoins, nous sommes dans une notion de valeur « floue » dans la mesure où le mot ne renvoie pas encore à la mesure, où les critères d’appréciation de la mise en valeur ne sont pas directement liés au sens de valeur. Ce n’est qu’à partir de 1740 que le terme de mesure se trouve lié à celui de valeur. C’est à cette époque qu’en musique, la valeur d’une note définit sa durée relative (croche, noire, blanche…). De même, la valeur en peinture exprime la mesure du degré de clarté ou d’obscurité des couleurs. C’est le début de la notion de valeur comme présentant des critères objectifs et mesurables. Les objets portent en eux les critères de leur évaluation car ils ont des qualités intrinsèques. Ce processus est lié à la découverte de nouvelles qualités, découvertes liées à l’amélioration des outils de mesure et à la rupture copernicienne qui a chassé Dieu de la science.

Au XIX°s, la science utilise le terme « valeur » dans son acception de mesure comme expression algébrique, numérique d’une quantité. C’est le début de l’ère de l’objectivisme scientifique qui pose la valeur des objets évalués comme indépendante de celui, de ceux qui ont une valeur à donner. C’est aussi à partir du XIX°s que la valeur, que valoir, se transforment radicalement parce que la révolution industrielle est en marche et que la bourgeoisie institue « le marché » comme valeur de référence, c’est-à-dire, pose comme valeur suprême la « valeur d’échange » au détriment de la « valeur d’usage » (Marx). Il y a un glissement définitif de l’évaluation du « mettre en valeur » à « donner la valeur de … ». Puisque la valeur sociale actuelle est le consumérisme, l’évaluation est entendue aujourd’hui comme la recherche d’une objectivité permettant l’échange dégagé de toute subjectivité. Le critère de référence, l’étalon est la monnaie et détermine la quantité au détriment de la qualité.

En parallèle, à partir du XVIII°s, Kant, Nietzsche, entre autres, reposent les questions fondamentales de la valeur, du jugement sur le beau, le vrai, le bien. Les philosophes réfléchissent sur les systèmes de valeurs, sur la généalogie de la morale… En effet, l’évaluation, la valeur, ont à voir avec le vrai et le faux, la vérité et le mensonge, le beau et le laid et dépasse le cadre strict de la mesure. Pour reprendre la valeur de la musique, l’évaluation d’une note jouée est, certes sa durée, sa hauteur…, mais aussi son harmonie avec les notes adjacentes et le vécue sensible, affectif de celui qui les joue, de celui qui les écoute.

Aujourd’hui, évaluer renvoie à une multitude de verbes dont la synonymie ne peut qu’accentuer la perplexité de celui qui les lit : apprécier, juger, noter, mesurer, constater, estimer, observer, valider, valoriser… Mais cet apparent cousinage ne reflète pas moins des ambiguïtés, certes linguistiques, mais aussi, et surtout ?, éthiques. L’évaluation étant dans le registre de la relation entre…, que cela soit entre des hommes, entre un sujet et un objet, il s’agit bien de valeurs établies dans une relation qui porte en elle les valeurs de celui qui évalue. C’est dans le domaine de l’éducation que nous retrouvons le plus de références « pratiques », mais aussi théoriques sur le thème de l’évaluation. Nous ne pouvons que constater une montée en puissance depuis 20 ans de ce thème dans tous les domaines de l’homme. Ainsi, dans l’édition de 1981 de l’Encyclopædia Universalis, nous ne trouvons que 2 entrée à « évaluation ». Dans sa dernière édition, nous retrouvons 12 entrées principales et 705 corrélatives. Il est intéressant de noter en quoi la problématique de l’évaluation en éducation et en clinique possède de nombreux points communs. L’évaluation repose sur un rapport d’humain enseignant à humain élève, d’humain thérapeute à humain patient, d’un humain qui a le savoir à un humain qui attend.

Parce que « valeur » est polysémique et renvoie à l’humain, elle met en perspective deux axes : la vertu et le prix. En d’autres termes, lorsque nous évaluons, donnons nous de la valeur à… ou donnons nous la valeur de… ? Pour paraphraser Yvan Abernot, lorsque nous sommes en situation d’évaluation, s’agit-il de mesurer le « niveau » d’un sujet ou de l’interpréter ?

Il est clair qu’il ne s’agit ni de l’un, ni de l’autre, mais bien de tenir les deux ensembles et c’est là toute la difficulté, voire la gageure de la pratique évaluative. Il nous faut tenir ensemble des valeurs a priori contradictoires et savoir pourquoi et pour quoi nous choisissons la vertu ou le prix, le qualitatif ou le quantitatif dans telle ou telle situation.

Où l’on voit tout de suite que l’évaluation renvoie aux valeurs fondatrices de chacun car associer vertu et prix, qualité et quantité, mais aussi mesure et interprétation, objectivité et subjectivité ne nous laisse pas indifférent. Mais c’est bien de cela dont il s’agit dans l’évaluation. Comme nous l’avons vu, « valeur » à son origine, est dans le registre de l’humain, du valeureux, du jugement de valeur. Ce n’est que plus tard que valeur a pris possession des objets comme jugement sur la valeur d’échange, puis sur la valeur marchande passant du jugement moral à celui de mesure objective, mais sans supprimer ce premier sens. Évaluer, choisir une méthode d’évaluation plutôt qu’une autre, parle de soi, de ses valeurs personnelles, de celles de l’institution et de la société dans laquelle nous évoluons. Mais nous l’avons dit, il nous faut les tenir ensemble, nous avons besoin des bilans qui sont notés, normés, universels, voire validés (et nous retrouvons notre racine valeo dans validé, validité), comme nous avons besoin d’entretiens qui sont interprétés, éthiques, singuliers. Nous avons besoin de mesurer la rotation interne d’une épaule, et donc de donner la valeur de ce mouvement. Mais aussi, nous avons besoin de donner de la valeur au panier que se réalise une personne en vannerie. L’ergothérapie a l’avantage, et le défaut, qu’elle s’adresse à notre part animale, mécanique, chimique, tout autant qu’à celle qui fait d’un homme un homme, à savoir l’imagination, le politique.

Si l’on regarde un ergothérapeute en situation d’évaluation, il ressort que ses actions s’inscrivent dans cette double logique. Parce que l’ergothérapie est la thérapie des troubles de l’activité humaine par la mise en situation d’activité humaine, nous dépassons le cadre de la praxis en tant qu’elle est l’utilisation de moyens en vue d’une fin. Nous nous « concentrons » sur l’ergon, sur ce qui est au-delà, par-delà le strict mouvement, la stricte contraction musculaire… Nous envisageons, avec la personne que nous recevons, une évaluation quantitative (amplitude articulaire, capacité cognitive…) que nous mesurons avec des bilans validés ou non, afin de donner la valeur de cette amplitude, du bilan… Mais de même, nous envisageons avec cette personne le sens, la visée de (c)ses séances d’ergothérapie en tant qu’implications dans la qualité de sa vie. Dans cette situation d’évaluation, nous n’utilisons pas de grille, de bilan, mais nous construisons avec elle la grille, les critères. Nous interprétons avec elle le sens à donner à cette nouvelle vie avec un hémicorps défectueux, avec un délire récurent, nous donnons de la valeur à ce que cette personne agit, dit…

Et l’ergothérapie est bien dans ce double registre du « donner la valeur de… » et du « donner de la valeur à… » car nous nous référons aux valeurs sous-jacente à ces deux logiques. Nous utilisons une évaluation quantitative, normée pour objectiver des faits, nous donnons la valeur de… et nous engageons une évaluation qualitative, éthique, subjective pour donner de la valeur à… Il nous faut donc engager, certes une discussion sémantique, mais aussi méthodologique car c’est bien de ce discours sur les méthodes à choisir, élaborer, que nous trouverons le(s) lien(s) idoine(s) avec le processus ergothérapeutique, mais aussi et surtout, avec une dimension scientifique, épistémologique. N’oublions pas que nous sommes formés à la connaissance du corps, de ces mécanismes, et que cette connaissance nous est tout aussi indispensable que la connaissance de la dimension psychique de l’homme. La dimension psychique, sociétale de l’homme ne peut s’exprimer, se vivre sans corps. Cela paraît fort trivial, mais il y a des moments où certains semblent l’avoir oublié. Il ne s’agit pas pour autant de n’en rester qu’au niveau de corps, mais comme l’affirme depuis de nombreuses années avec justesse Gabriel Gable [2], rééduquer en tant qu’acte à visée réadaptative, implique une connaissance fine des éléments organiques et des structures afférentes pour pouvoir comprendre, et donc inventer une démarche spécifique à la personne que nous rencontrons dans ce colloque singulier de la clinique.

La qualité d’une évaluation

L’évaluation est une opération de traduction, de transformation et d’altération d’un objet étudié. En cela, on transforme un objet en un autre, en différents éléments ou variables, ce qui a des avantages, notamment la possibilité de pouvoir établir des comparaisons. Par exemple, il y a transformation d’une baguette de pain en prix, poids, temps, en sympathie de la boulangère…, transformation d’une personne en apraxie, désir, mémoire. On peut ainsi comparer des objets a priori incomparables (si on prend le critère poids, on peut ainsi comparer une baguette avec une girafe).

Il existe alors toujours une perte car la transformation ne peut pas prendre en compte toutes les variables, l’intégralité des composantes d’un objet, d’un homme. On choisit volontairement d’en laisser de côté ; on sélectionne des critères particuliers et ce choix est porteur de sens et doit aussi être analysé. L’évaluateur parle ainsi de lui dans l’évaluation, dans ses choix.

Compétences et performances

PerformancesL’évaluation est donc le résumé d’un tout par une ou des partie(s). Tout être humain possède des compétences qui s’actualisent et s’expriment par des performances. Les compétences sont des potentiels, des capacités a priori. Ces compétences ne deviennent « vraies » que quand elles s’expriment, s’effectuent, sont en actes. Cette effectivité, ces actions, sont des performances, c’est-à-dire, la traduction réellement faite d’une partie des compétences. L’évaluation est alors de chercher quelle performance évaluer pour cerner au mieux les compétences. On ne peut donc pas évaluer directement des compétences, mais uniquement des performances.

CompétencesUne compétence s’exprime en qualité d’opération. Évaluer est la tentative d’appréhension d’une compétence sur un tout par le biais de performance, une partie. Ce choix d’une compétence doit prendre en compte, d’une part, les modalités d’évaluation (écrit, oral, direct, indirect) ainsi que les outils choisis (questionnaire, bilan, entretien…). D’autre part, les performances constatées lors des évaluations peuvent être liées à différentes compétences. Pour faire ses courses, nous mobilisons différentes compétences (déambulation, fonctions exécutives, mémoire…). Il convient donc de bien préciser ce que l’on cherche comme informations pour bien cerner les performances, et donc les compétences évaluées et confirmer au plus près le caractère de validité de l’évaluation choisie ou élaborée.

L’évaluation en règle

Une évaluation est en fait une logique de recherche scientifique. Comme nous l’avons évoqué en introduction, reste à savoir dans quel type de science nous nous situons lorsque nous parlons de recherche et de science. Toujours est-il que l’évaluation, comme la recherche, doit répondre à au minimum quatre caractéristiques :

Validité

C’est la tentative d’évaluer au mieux ce que l’on cherche à évaluer et rien d’autre. C’est la quête de l’objectivité. Il faut éliminer les effets parasites induits — le contexte, par exemple, mais alors, quid des évaluations dites écologiques —, les effets de contraste. Si on fait un bilan d’une personne faible juste après une personne forte, l’écart sera posé comme plus grand que si deux personnes évaluées sont dans la même registre de performance.

Fidélité

C’est la caractéristique d’un bilan à être aussi indépendant que possible des variables parasites (condition de passage, nombre de passages, évaluateur…). En clair, quel que soit le contexte de l’évaluation, l’évaluateur…, nous devons trouver le même résultat. Cela explique pourquoi une évaluation dite validée a un protocole strict afin de minimiser au maximum l’impact des variables parasites. Nous sommes dans une logique du tiers exclu car l’évaluateur ne doit pas être un élément qui participe au résultat, il doit être le plus absent de la situation d’évaluation afin de ne pas influer sur les résultats.

La docimologie a étudié l’impact de la variable « évaluateur » sur les résultats des corrections du baccalauréat. Elle a ainsi montré que l’objectivité est illusoire. En effet il faudrait, pour obtenir une note ’exacte’ (Une note ’exacte’ étant une moyenne de notes telle que l’adjonction d’une autre note ne modifie pas sensiblement cette moyenne), 127 correcteurs en philosophie, 78 en composition française, 28 en anglais, 19 en version latine, 16 en physique, 13 en mathématiques.

Et n’est pas prise en compte l’autofidélité, c’est-à-dire, la possibilité pour une même personne qui corrige plusieurs fois la même copie de donner la même note.

Sensibilité

C’est le fait qu’un test fait bien fluctuer les unités correspondant à l’objet aux unités correspondant à la mesure. Il faut donc utiliser la bonne unité de mesure par rapport à l’objet donné. La MIF môme a des unités différentes que la MIF. Mais cela renvoie aussi à la définition de l’échelle des graduations présentes. Devons nous noter sur cent, sur vingt, sur dix… Mais une échelle analogique d’auto évaluation comme celle utilisée pour la douleur, combien de références doivent-elles avoir ? Trois, cinq… La sensibilité est la résolution de l’outil d’évaluation, résolution qui permet des fluctuations cohérentes. On ne va pas prendre comme résolution pour mesurer la masse d’un homme la tonne !

La fiabilité

La fiabilité indique la quantité d’erreur tolérable. Elle est appréciée en faisant passer l’évaluation plusieurs fois à la même personne et dont le résultat réel n’a que peu varié. Les erreurs sont soit de type aléatoire, soit systématique. Les trois éléments qui peuvent entraîner des erreurs sont l’instrument en lui-même, les caractéristiques de l’échantillon de personne ou les conditions de passation de l’évaluation.

Relativité

Une évaluation est toujours relative à différentes variables, différents facteurs. Nous pouvons en extraire trois principaux que sont les facteurs personnels, institutionnels et sociaux. Personnels car c’est bien le choix de l’ergothérapeute de sélectionner tel ou tel type d’évaluation, c’est de sa compétence et de ses connaissances que de savoir « faire passer » une évaluation. La variable institutionnelle est importante car l’institution qui utilise des évaluations fait elle aussi le choix d’un type d’évaluation et des outils afférents. En psychiatrie, c’est l’obédience médicale, ou les conflits d’obédiences, qui gouvernent les pratiques professionnelles thérapeutiques. Mais cela est valable dans toutes les disciplines médicales. Enfin, le facteur sociétal est une composante importante car il est la référence socialement construite de la norme, de ce qu’est un être humain dans une société donnée à un temps donné. La représentation d’un être humain n’est pas la même en France, en Belgique ou aux États-Unis compte tenu de l’histoire, la culture, la mystique sous-jacente.

Synthèse provisoire

L’évaluation est donc un processus complexe car elle requiert une rigueur si l’on veut qu’elle soit relativement valide. Au demeurant, cette rigueur ne doit pas être confondue avec de la rigidité, propriété souvent mise en avant pour ce qui concerne les évaluations dites standardisées. La principale et unique qualité d’une évaluation est en fait liée à l’évaluateur qui doit savoir pour-quoi et pourquoi il choisit telle ou telle évaluation et dans le cas où le choix se porterait vers une évaluation dite « maison », pouvoir expliciter la méthode utilisée afin d’en garantir la qualité. Après tout, un entretien, une mise en situation d’activité, sont aussi des évaluations. Au final, ce qui fait la valeur d’un outil d’évaluation, c’est l’évaluateur car les processus d’évaluation sont mis en jeu par le thérapeute [3] qui peut ainsi exprimer la validité des phénomènes observés.

Les outils

Puisque nous évoquions l’outil principal, en l’occurrence l’évaluateur, ne faisons pas pour autant l’impasse sur quelques remarques concernant les outils en eux-mêmes. En outre, nous vous renvoyons à notre mémoire de D.E.S.S. en sciences de l’éducation et consacré justement aux problématiques de l’évaluation (Guihard, 2004).

Comme évoqué précédemment (Guihard, 2006), les outils servent à recueillir des données, des informations. Les données recueillies sont façonnées par l’outil, qui lui-même façonne la façon dont nous évaluons. En effet, faire passer un entretien ou un questionnaire pour connaître la qualité de vie d’une personne ne nous donnera pas les mêmes données. Il y aura de fait des données communes, mais nous retrouverons aussi des différences car ces deux types d’évaluation, et donc de recueil de données, impliquent des façons de répondre très différentes. Ce sont donc bien les types d’outils qui façonnent ces réponses et les questions.

On peut même envisager que nous ayons des résultats différents suivant les outils que nous utilisons. Cette différence dépend du rapport utilisé entre l’observateur et l’observé (direct, indirect, questionnaire ou auto questionnaire…), mais aussi du type d’item évalué (autonomie ou dépendance…) et du contexte dans lequel le recueil de donnée est effectué (centre ou vie quotidienne).

Ainsi, un bilan sert-il à tenter d’objectiver une situation dont l’ergothérapeute et le patient perçoivent mal les contours dans ce monde traumatique.

Plutôt que de vous donner une liste d’outils d’évaluation, nous préférons exposer les deux logiques des outils d’évaluation : le quantitatif et le qualitatif. De toute façon, vous trouverez de nombreuses évaluations, validées ou non, dans de nombreux ouvrages médicaux. Ces outils proposés sont, pour nombre d’entre eux, tout à fait applicables et utilisables en ergothérapie. Si vous ne souhaitez pas les utiliser tel quel, imprégnez vous de la logique de construction d’un outil, de leur logique interne, des découpages et des items choisis.

Ces deux logiques doivent nous permettre de faire des choix dans les outils à notre disposition compte tenu des personnes suivies et des objectifs généraux de la prise en charge. Ces deux perspectives ne doivent pas s’opposer, mais être dialectiquement parlées, réfléchies, afin que, encore une fois, l’évaluateur puisse faire des choix et les expliciter. Le tableau ci-après replace d’abord la place des différentes logiques d’évaluation des institution sanitaires, mais aussi médico-sociales. En effet, l’évaluation ne se résume pas exclusivement à la clinique et connaître les différentes places qui préoccupent les différents acteurs institutionnels, permet de mieux cerner certaines demandes suivant qu’elles émanent d’un directeur d’établissement, d’un médecin D.I.M., d’un chef de service ou d’un psychologue. En effet, certaines expressions utilisées se retrouvent à tous les niveaux institutionnels. Que veut dire l‘évaluation des soins par exemple ? Cette connaissance des langues institutionnelles est d’autant plus indispensable que la version II de la certification des établissements de santé bouscule beaucoup de choses, notamment en mélangeant deux types d’évaluation sous le même vocable d’E.E.P. [4]. Cela dit, le secteur médico-social et social devant, lui aussi, s’engager dans cette certification au plus tard pour novembre 2010, il est tout autant concerné, à la sémantique près. Nous ne parlons plus alors d’évaluation des soins, mais d’évaluation des accompagnements par exemple.

Les évaluations se retrouvent à tous les niveaux d’une institution. Elles concernent aussi bien les moyens dont dispose celle-ci, que des données sur le nombre d’actes effectués dans une année, le type de pathologie accueillie et enfin, les résultats obtenus à l’issue du processus de soins, d’accompagnement. Les indicateurs d’évaluation d’une institution sont de différentes natures. Au plan global de l’établissement, nous retrouvons la S.A.E. (Statistique Annuelle des Établissements de santé). Elle regroupe les moyens (dépenses) et les actes réalisés (les recettes). Même si ces données ne nous concernent pas directement, elles ont néanmoins un impact sur nos prises en charge et donc sur les évaluations que nous effectuons auprès des personnes que nous accueillons. En effet, ces moyens influent sur notre pratique en termes de ratio personnel/patient par exemple. La deuxième évaluation est le f(a)umeux P.M.S.I. (Programme de médicalisation du système d’information) qui recueille les actes effectués pour chaque patient. Cet indicateur nous concerne directement puisque nous devons le renseigner quotidiennement. Il s’agit de mesurer ce qu’un patient reçoit comme soin lors de son séjour et en aucune manière la mesure de la charge de travail. Le dernier indicateur répond au nom générique d’« évaluation des soins ». Celle-ci concerne les quatre plans dessinés ci-dessus et non exclusivement les plans 3 et 4. Et encore, pouvons-nous constater que le plan 4 est souvent laissé de côté. Or c’est celui qui permet le mieux d’argumenter la validité d’une pratique thérapeutique. « Prouver » que l’ergothérapie sert à quelque chose, soigne, guérit, c’est bien par l’évaluation des résultats que cela passe. Mais attention, cela ne passe pas obligatoirement par le fumeux E.B.P. (evidence Based Practice), l’évaluation par la preuve.

Pour aller plus précisément au niveau de l’évaluation dite clinique, nous pouvons découper la logique évaluative en deux perspectives : le quantitatif et le qualitatif, ou encore, la métrologie et l’axiologie. La métrologie est la science de la mesure, l’axiologie étant relative à la valeur en tant quelle est démarche personnelle, sociale et morale.

Métrologie quantitative

La métrologie a à voir avec la mesure, la quantité. Mais sous ce terme qui semble univoque, nous trouvons moult dimensions, impressions, recommandations morales. En effet, un océan semble séparer la mesure du coude, de l’influx nerveux et la mesure du comportement, du propos. Toujours est-il que la mesure nous renvoie à notre ergon, nos erga grecques en tant qu’elle puise son origine dans une première ambivalence étymologique. Mesure vient du latin Métior [5] qui est traduit dans le Gaffiot par « estimer, juger, évaluer ». Mais nous trouvons aussi « répartir en mesurant » (répartition du blé entre des soldats par exemple), mais aussi avec un ablatif, « mesurer quelque chose d’après une chose », comparer. Cette ambivalence sémantique s’est poursuivie jusqu’à la rupture épistémologique de Copernic et Vesale qui définirent les bases de la science moderne, loin de toute mystique et religion. La mesure se devait d’être rationnelle, juste, et pouvoir décrire un monde, le vrai, celui qui n’était plus exclusivement celui créé par dieu.

Mais au final, c’est la Révolution Française qui a scellé le sort de la mesure en proclamant la metron grecque, et donc le mètre comme fondement du nouveau monde qui s’ouvrait à ce moment. La mesure avait son étalon objectif par ce mètre, mais aussi théorique par l’affirmation politique de l’objectivité dégagée de toute relation sentimentale. Mais cette promotion de l’étalon métrique avait plusieurs arrières pensées. Une première était la dimension universelle de la valeur de la Révolution française qui devait s’exporter, être universelle et rationnelle. Une autre pensée était la fraude liée aux désordres des unités de mesure et des outils de mesure. La métrologie officielle est donc basée sur l’idée de la fraude, du mensonge puisque l’on pouvait tricher et ainsi s’enrichir en jouant avec cet étalon. Cet étalon devient un référentiel normatif et la logique des évaluations métrologiques repose sur cette notion d’étalon de référence. Il s’agit de comparer les résultats obtenus avec l’étalon et voir ainsi les écarts. La logique sous-jacente est de combler les écarts pour faire revenir dans la norme, la normale.

L’axiologie qualitative

« Les lois grecques anciennes commencent toutes par la clause « édoxè tè boulè kai to démo », (il a semblé bon au conseil et au peuple). « Il a semblé bon », et non pas « il est bon ». C’est ce qui a semblé bon à ce moment –là » (Castoriadis, 1998).

Le problème de la mesure est qu’elle est nécessaire, mais en aucune mesure suffisante. Si tout est causal, décontextualisé, lissé, tout est tellement clair, transparent, évident, qu’il ne peut plus y avoir de défense. Le juge n’écoute plus l’avocat, la parole n’existe plus, l’homme disparaît derrière le factuel et il n’y a plus de pardon possible.

L’axiologie, en quoi concerne-t-elle l’évaluation et la mesure ? Si la mesure est la connaissance des limites en tant qu’elles sont repères, si elle est la connaissance de soi, de ses limites et donc de qui nous sommes, de qui est l’autre, alors la mesure inscrit notre être dans un monde organisé, objectivé et pour partie connaissable. La mesure pose des limites, des frontières qui objectivent le connaissable, le raisonnable et donc les lois afférentes. Mais en même temps, ne dit-on pas que nous devons avoir une juste mesure des choses ? Qu’il faut raison garder et rester mesuré dans nos propos ? Dès lors que nous dépassons les limites, nous entrons dans l’ordre de la valeur humaine et du démesuré [6], dans ce qui risque de troubler l’intelligibilité du monde. Autant la mesure est relative à la norme (l’étalon), autant la démesure défie cette normativité, nous renvoyant au partageable du sens. La mesure permet de voir, de prévoir, de déterminer à l’avance les phénomènes ; la démesure est cette part de risque, d’incertain en chacun de nous qui fait que les lois ne sont pas fixées pour l’éternité. La mesure est notre part de biologique, elle est l’amplitude articulaire de l’épaule, la démesure est le potentiel de geste irraisonnable pouvant être réalisé avec notre épaule.

L’axiologie renvoie à la notion de qualité, de subjectivité et d’autonomie. Il n’y a plus d’étalon de référence et l’évaluation, comme la prise en charge est co-construite avec la personne. Il s’agit de mettre en valeur des éléments personnels qui dépassent la norme car nous sommes dans une logique d’historicité, d’histoire de vie qui prend en compte le temps qui passe, l’affectif, le sentiment de l’autre. Il ne s’agit pas d’écouter la parole de l’autre, mais ce qui est beaucoup plus difficile, de supporter la parole de l’autre.

La métrologie axiologique

La polysémie de tous ces mots est bien la source de leur richesse. La mesure est tout autant le nombre, l’espace, le quantitatif que nos actions sont dans la mesure du possible, que le propos se devrait d’être mesuré. L’évaluation est tout autant le positivisme que l’herméneutique et pas plus que le vrai ne rencontre le beau, la vérité ne croise que rarement la croyance. Mais nous ne pouvons nier que croire à l’évaluation contrôle ou à la transcendance relève de postures contradictoirement liées et intimement personnelles. « Le bilan est une affaire de chiffres, de constat, de figure et donc de contrôle par rapport à des attentes, des normes, à quelque chose d’antérieur. [7] » Mais des bilans sans commentaire, et souvent nous les retrouvons avec un « comment taire », sont des lettres mortes, des hallucinations. « Le commentaire est la glose, l’ouverture, mais aussi l’improvisation, peut-être la création, l’autorisation. C’est toujours aussi important que ces deux idées soient toujours associées et je crois que ce que je dis, là, a aussi un sens au niveau des pensées scientifiques qui peuvent, dans certaines écoles, certaines conceptions, se vivre en terme de bilan, et pas assez en terme de commentaire, d’ouverture. [8] » Il est alors impossible de faire un bilan d’autonomie ; des dépendances, oui, mais d’autonomie, non.

Si le meilleur outil d’évaluation reste l’évaluateur, alors nous pouvons envisager que ce qui différencie principalement le quantitatif et le qualitatif, c’est la place de cet évaluateur dans la situation d’évaluation. Est-il ce que l’on nomme un tiers inclus ou un tiers exclu ? En d’autres termes, est-il parti prenante de la situation, inclus en elle comme lors d’un entretien ? Ou est-il exclu, s’exclu-t-il de cette situation pour avoir du recul et éloigner au maximum tout biais lié à sa subjectivité, pour permettre que, quel que soit l’évaluateur, nous ayons les mêmes résultats ?

Comment faire alors ?

Pour observer l’homme, l’évaluateur, l’observateur, va chercher à discerner le régulier dans le fortuit, ce qu’il connaît dans l’inconnu afin de prendre des repères. En effet, la situation évaluative étant une relation intersubjective, elle est complexe. Nous laisserons de côté dans ce chapitre tout ce qui concerne les évaluations métrologiques (les bilans, les tests) car elle ne présentent aucune difficulté méthodique ayant un mode d’emploi qu’il suffit de suivre à la lettre. Il n’en demeure pas moins, que même pour ces évaluations, ce sera l’interprétation des résultat qui pourra poser problème.

Il faut donc chercher le message dans le bruit (sonore, pictural, factuel…) afin de pouvoir comprendre au sens étymologique de prendre ensemble. Dans ce cadre, soit nous avons déjà des grilles contenant des items spécifiques à observer, soit nous avons notre expérience qui nous fait regarder des aspects précis de la situation. Mais dans tous les cas, nous devons avoir des items à regarder car autrement, nous ne pouvons rien voir, sauf des éléments particulièrement saillants. Ces derniers risquent de masquer des choses importantes qui nous échapperaient, ne sachant pas quoi regarder. Quand vous êtes assis à une terrasse d’un café, vous regardez les gens passer. Si vous n’avez pas d’idées particulières sur quoi regarder, après coup, vous n’avez rien vu de particulier sauf s’il s’est passé un événement distinctif, qui sort de l’ordinaire.

Il y a donc nécessité d’avoir un cadre d’observation pour commencer toute évaluation. Ce cadre pose différents critères, items, à observer plus spécifiquement. Ces items sont appelés « variables », c’est-à-dire que ce sont, comme en mathématiques, des conteneurs de résultat qui sont, de fait, avec un contenu variable suivant la personne, ou suivant le moment de la journée pour cette personne. Nous recherchons alors des invariants dans ces variables, c’est-à-dire, des éléments que l’on retrouve plusieurs fois afin de construire une représentation. Ces repérages de multiples invariants au sein du variable nous permet la construction d’une figure, d’une représentation de l’objet, de la situation et ainsi, nous renvoie une compréhension socialement partageable de ce qui se passe, se dit. L’indifférentiable nous laisse indifférent, voire il fait peur, car il renvoie au vide, à notre incompréhension. Ce socialement partageable est un impératif car une évaluation débouchant toujours sur une démarche thérapeutique, elle est de fait inscrite dans un contexte social que nous devons prendre en compte pour lui donner une validité, justement partageable. L’évaluation est donc un acte de communication au sens plein de terme. Mais, il s’agit d’un acte d’assimilation, de manipulation qui doit permettre la modification de la situation, de la relation quand il s’agit d’une évaluation portant sur des facteurs d’humanité.

L’évaluation est donc un triptyque (observateur – objet – cadre) où l’observateur décrypte la complexité de l’objet de l’évaluation, étant entendu que l’observateur est autant le soignant que le patient. Cela s’applique aussi pour des évaluations validées et portant sur des fonctions organiques — la C.I.F, comme le Test des Errances Multiples pour les fonctions exécutives — mais beaucoup plus difficilement pour tout ce qui touche le psychique, le social de l’humain,.

Alors, l’évaluation, c’est quoi ?

Les développements précédents nous ont semblé suffisamment importants pour que nous abordions cette question aussi tard dans notre propos. Cela dit, définir l’évaluation est assez simple. En effet, évaluer, c’est mettre en valeur des parties d’un objet étudié. L’évaluation est un recueil de données par rapport à différents éléments ou critères (somatique, fonctions supérieures, estime de soi, relation, désir…), et ce, pour une personne ou un groupe. Dans notre cas, celle-ci a une pathologie, situation de handicap… et cette évaluation est réalisée en vue d’une décision.

L’évaluation compte quatre temps principaux : le choix du destinataire, la sélection des éléments à évaluer, puis de l’outil de recueil des données et enfin, le temps de l’interprétation des données recueillies.

Attardons nous sur ce dernier temps, l’interprétation. C’est un moment essentiel car c’est de la qualité de l’interprétation que va dépendre la qualité de la décision [9]. L’interprétation est pleinement dans l’humain car elle ne peut pas être informatisée, standardisée, car allant au-delà du simple recueil de données, qui lui, peut être standardisé. L’interprétation doit répondre à la question suivante : que puis-je comprendre de ce que je viens d’évaluer ? Quels objectifs puis-je mettre en place ?

Par exemple, si nous avons choisi un critère d’évaluation qui serait : le patient arrive-t-il à l’heure avec une tolérance de plus ou moins 5 minutes oui  – non . Nous annonçons à notre patient notre soucis vis-à-vis de sa difficulté à arriver à l’heure et nous effectuons des mesures régulières pour objectiver l’écart constaté avec l’heure à laquelle il est sensé être au rendez-vous. Nous en tirons une moyenne statistique qui nous sert de référence avec le patient pour lui signifier cet écart. Nous sommes dans une norme et la réponse est a priori quantitative.

Mais cela est beaucoup plus compliqué que prévu. Cette interprétation dépend déjà de la norme que nous avons choisie (plus ou moins 5 minutes) qui est une valeur. Nous ne discuterons pas ici de la valeur de la valeur chère à Nietzsche (cf. la généalogie de la morale, dissertation II en particulier), mais cela est bien de l’interprétation même si cette norme est statistiquement corrélée à une moyenne.

Sans vouloir faire une recherche de type généalogique, il faut questionner le choix de cette norme, de ce critère et comment le retard ou le non-retard, ou l’absence (comment devons-nous coter l’absence ou le fait d’être en avance ?) peut-il avoir un sens par rapport à ce que je cherche, si tant est que je cherche quelque chose ? Qu’est ce qui me permet de dire que, dans les conditions d’ergothérapie de cette institution, à ces moments donnés, le patient est ponctuel (ce qui est différent d’arriver à l’heure car le « ponctuel » est un jugement de valeur, « arrive à l’heure » est factuel) et que cela sera reproductible à l’extérieur ? Qu’est ce qui me permet de coter comment le patient joue avec le cadre ? En outre, que dit le patient de mon choix de vouloir le faire arriver à l’heure ? Toutes ces questions trouvent leur explicitation – et non leur explication qui sous entendrait solution – dans la référence au projet thérapeutique du patient. En quoi cette ponctualité est-elle importante pour la vie sociale de cette personne ? A-t-elle une nécessité d’être à l’heure dans la vie courante ? Est-ce un sous-item d’une problématique de repère dans le temps et l’espace ? Est-ce volontaire de sa part, et dans l’affirmative, qu’est ce que cela veut dire ?

Alors, d’aucun diront que le bilan, c’est du quantitatif et c’est vrai, mais si on passe de la mesure d’écart à celle de classement, on y introduit la hiérarchisation et l’on commence à glisser vers le qualitatif. L’interprétation permet de dépasser le simple recueil de données chiffré pour y introduire du sens, de la compréhension. En effet, nous n’avons jamais qu’un seul critère et nous hiérarchisons les données, certes quantitatives, afin d’en trouver un sens tant mathématique que sensible. Nous ne sommes plus exclusivement dans du quantitatif, mais dans une estimation et l’évaluation clinique, elle est là. Cette hiérarchisation intervient à différents temps de l’évaluation : Avant (projet, aide à la décision), pendant (auto régulation, formative) et après (planification et impact des résultats).

Il est donc impératif de se questionner quant au choix de ce que nous allons évaluer et des outils qui en découlent. Il ne s’agit pas de dire qu’une perspective est meilleure que l’autre, mais « juste » de pouvoir faire un choix entre les deux et de pouvoir l’étayer. Ces deux points de vue peuvent être résumés en : l’évaluation est soit une intervention pour contrôler, supprimer et réduire un écart, un problème ; soit une formation de sujet.

Pour conclure : l’évaluation, un monstre évaluatif ?

L’évaluation fait peur car elle pointe notre non-savoir, notre incompréhension, voire notre incompétence. Elle fait peur car elle risque de nous mettre à nu, de dévoiler nos faiblesses tant perceptibles que fantasmatiques, dans un soucis idéologique de transparence.

Mais il ne faut pas oublier que l’évaluation est inscrite dans un cadre institutionnel qui surdétermine notre pouvoir, masquant l’incontournable indétermination clinique de la relation psychothérapeutique. Il faut alors penser l’évaluation comme estimation, appréciation de l’impact du soin et non comme analyse de la relation. En effet, il n’est pas nécessaire d’analyser le transfert pour connaître l’impact de l’ergothérapie, comme il n’est pas nécessaire de connaître le mécanisme d’action d’un neuroleptique pour en reconnaître son effet anti-hallucinatoire. L’évaluation faite par ergothérapeute n’est pas par rapport au patient, mais par rapport au schéma, à la stratégie thérapeutique mise en place par le médecin.

L’évaluation est toujours une démarche effectuée à deux, quand bien même il s’agit d’auto-évaluation car nous nous évaluons toujours par rapport à un autre, même symbolique et qu’il s’agit donc d’intersubjectivité. Il faut alors adapter l’évaluation aux spécificités de cet autre. L’évaluation dépend de la grille de lecture, qui elle même dépend du destinataire. Dans ce cadre, c’est toujours le destinataire qui définit les critères de cette grille Ainsi, on ne fait pas la même démarche pour un patient, pour un médecin que pour une assistante sociale.

L’évaluation est un risque car elle renvoie au changement, au choix, à la culpabilité, à l’autonomie, au désir. L’évaluation est donc une démarche intellectuelle qui demande juste aux professionnels une ouverture d’esprit qui doit leur permettre une connaissance des logiques en jeux dans les différents outils afin de pouvoir choisir le « bon » outil. Se bloquer stérilement dans un des deux paradigmes (métrologie ou axiologie) relève du paradogme et en aucune manière d’une éthique professionnelle seule garantie de la qualité de nos pratiques. En effet, comment refuser ce que l’on ne connaît pas ? Pour choisir, il faut toujours avoir au moins une alternative et donc, supporter la parole de l’autre pour pouvoir entrer dans un dialogue qui nous construit et nous permet ensuite d’étayer nos choix et point de vue. Alors, pas plus le bilan standardisé que l’entretien n’ont de valeur en soi, seul notre capacité à pouvoir dire pour quoi nous avons choisi l’un et pas l’autre nous permet de supporter que d’autres viennent évaluer nos pratiques.

Bibliographie

Bally-Sevestre D., Chaumeil M., D’Erceville D., Guihard J.-Ph., Liard M.-A., ORVOINE C., Rouxel M.-P., Prudent Y., Villard A. (2003). Démarche d’évaluation en ergothérapie in ErgOThérapies, 12, 23-36, ANFE, Arcueil

Castoriadis C. (1998), Les carrefours du labyrinthe, tome 1, Seuil, Paris

Gorwood Ph. (2004), Mesurer les évènements de vie en psychiatrie. Editions Masson, Paris

Guihard J.-Ph. (2004). L’évaluation : le travail à l’œuvre. Mémoire de D.E.S.S. de l’université d’Aix-Marseille, disponible à http://www.jp.guihard.net/spip.php?article1.

Guihard J.-Ph. (2006). Cogito Ergo Therapeia in ErgOThérapies, 21, 41-52., ANFE, Arcueil

Guihard J.-Ph., KALFAT, H. (2006), Méthodologie et méthode en ergothérapie : de la théorie à la pratique. Expériences en Ergothérapie, 19è série, pp. 65-74, Sauramps médical, Montpellier :

Massimo P., Arnauld C., Decruynaere C. (2005), Développer et interpréter une échelle de mesure : Applications du modèle de Rasch, Pierre Mardaga éditeur, Sprimont (Belgique),.

Tiré à part :

Jean-Philippe Guihard

Cadre supérieur de rééducation

Licence en sciences de l’éducation, DESS en science de l’éducation

Association Hospitalière de Bretagne

22110 Plouguernével

Notes

[1] Cette partie reprend, avec des modifications, l’introduction qui avait été écrite pour l’article « Démarche d’évaluation en ergothérapie ».

[2] Directeur technique de l’institut de formation en ergothérapie de Nancy. Je vous renvoie notamment à sa communication relative à l’évaluation effectuée au IVème symposium francophone d’ergothérapie en octobre 2005 à Morges (Suisse) dont le thème était : « ergothérapie : science de l’activité ? »

[3] Il ne s’agit pas de nier ici la place du patient dans la logique évaluative, ce dernier pouvant avoir une place pleine et entière, mais il n’en demeure pas moins, que c’est le thérapeute qui « pilote » le processus évaluatif étant dans une relation professionnelle.

[4] Soit l’ancienne formation médicale continue (F.M.C.) et les évaluations des pratiques professionnelles de tous les professionnels d’un établissement de santé, dépassant ainsi le cadre strict de l’évaluation des pratiques médicales.

[5] « Cette origine latine vient de la Métis grecque qui correspond à la capacité de ruse, à notre potentiel d’inventivité, d’ingéniosité pour arriver à un but. La Métis utilise notre praxis, mais va au-delà, en la transformant en ruse, finesse, adaptation. Si on se reporte à la mythologie Grecque, nous lisons que Zeus a eu pour première épouse Métis, puis après l’avoir dévorée, Thémis. Cette dernière portait le Droit. Or ces deux femmes portent déjà deux perspectives du monde. Métis est l’ingéniosité, mais dans un monde incertain, alors que Thémis est la grille (de lecture ?) du monde grâce aux interdits, lois, limites, au cadre stable dans lequel les hommes doivent se cantonner. Pour Métis, chaque chose a sa place, pour Thémis, chaque chose à sa place. Pour Métis, le monde n’est pas épuisé, fini et l’homme peut agir dans ce monde grâce à son ingéniosité. Pour Thémis, le monde est stable et chaque chose doit être à sa place, ordonné, rangé selon des règles. », Guihard, 2004.

[6] Nous parlons de démesure dans la mesure où nous nous situons à ce niveau dans l’axiologie étant entendu que pour la mesure métrologie, nous parlerions d’incommensurable.

[7] Table ronde sur la pédagogie et l’Eros par Jacques Ardoino, Actes du colloque « Approche plurielle en éducation, questionnements et perspectives » en l’honneur du Professeur Jacques Ardoino, juin 1998

[8] Ibid

[9] Il est à noter que c’est cette interprétation qui pose problème lors de l’utilisation d’outil dévaluation pour lesquels nous n’avons pas été formé. Faire passer un bilan est simple en soi car il suffit de suivre le protocole de passation. Mais l’interprétation nécessite des compétences particulières, voire une formation ad hoc. En cela, la problématique de l’utilisation de certaines évaluations neuropsychologiques est résolue. Nous ne pouvons utiliser que les outils vis-à-vis desquels nous avons été formé afin d’en donner une interprétation valide.

SPIP | À propos de ce site | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0

1996 - 2024