Two bits or not two bits
Jean-Philippe GUIHARD
Ergothérapeute
22110 CHS Plouguernével
Préambule
L’objet de cette intervention n’est pas de vous faire un panégyrique de la micro-informatique, mais plutôt de vous exposer différentes approches, différents rapports entre l’Homme et la micro-informatique. Cette étude porte sur deux années et n’en est qu’à ses balbu-tiements, car il s’agit d’un sujet très vaste qui, eu égard au temps qui m’est imparti, ne pourra qu’être survolé.
Cette démarche de prises en charge et d’étude s’est faite auprès d’une population de pa-tients d’âges compris entre 17 et 45 ans, de sexe masculin en très forte majorité dont le diagnostic était orienté sur la psychose.
Les prises en charge sont individuelles et par séances une heure maximum, 2 à 3 fois par semaine.
1- Introduction
Il va de soi que l’utilisation de la micro-informatique n’est qu’une activité parmi celles qui sont proposées dans le cadre de l’ergothérapie et qu’elle ne saurait remplacer les activités ma-nuelles avec lesquelles elle doit s’articuler.
Il n’empêche que, comme certaines activités - les marionnettes, le théâtre…- il m’apparaît que la micro-informatique n’est pas une activité anodine et qu’elle engendre beaucoup de proces-sus impliquant certaines fois des contre-indications et des dangers.
En effet quoi de plus dangereux que de développer un désir très fort, une dépendance à la machine chez un patient qui vit dans un appartement avec une A.A.H. ou le R.M.I.. Il paraît évi-dent que, et surtout dans nos régions rurales, il ne pourra jamais s’offrir un micro-ordinateur chez lui faute de moyens financiers et que la prise en charge effectuée par le thérapeute pendant son hospitalisation aura été néfaste. Il en va de même pour tel patient psychotique qui s’offrira un mi-cro-ordinateur et qui s’enfermera chez lui pour se retrouver nuit et jour « collé » devant l’écran, oubliant le monde qui l’entoure, annihilant toute relation sociale et qui risque de décompenser ou de se perdre, ne mangeant plus, dormant plus. Demandez aux passionnés d’informatiques dits « sains » combien d’heures ils sont prêts à passer devant leur machine et vous serez atterré.
Je vous exposerai différentes réflexions qui découlent des observations réalisées auprès de ces patients par rapport à l’utilisation du micro-ordinateur dans le champ de la psychiatrie. Cer-taines d’entre elles s’appliquant totalement à tous les utilisateurs d’un micro-ordinateur.
2 - Un champ d’exploitation très vaste
Avec un micro-ordinateur, on peut tout faire comme on peut ne rien faire. L’outil informa-tique a un champ d’exploitation extrêmement vaste et l’on peut s’y perdre très facilement sous couvert de progrès. En effet, un ordinateur n’est qu’une grosse caisse à outils dans lequel on pioche pour réaliser tel ou tel travail. Ainsi avec une caisse à outils, on peut faire de l’électricité, de la plomberie, faire un abri de jardin, réparer sa voiture… et à chaque fois que l’on sort celle-ci, on a défini à l’avance ce que l’on va faire, le pourquoi de cette utilisation et quel type de travail vont être réalisés. En informatique, la démarche doit être la même sous peine de « bricoler ».
Le micro-ordinateur ne fait que ce qu’on lui dit de faire, ne se pose jamais de question ; il n’a aucune initiative et ne fait jamais rien que l’on ne lui ait ordonné de faire. Il ne peut rien faire tout seul. C’est donc à nous de nous poser les questions pour connaître l’intérêt et l’apport de cet outil dans notre pratique soignante.
Tout cela implique que le soignant maîtrise le fonctionnement informatique au sens large. Il ne suffit pas de savoir taper à la machine à écrire, dérouler un « menu » pour pouvoir encadrer un atelier informatique.
C’est uniquement grâce à cette connaissance des différents logiciels, de leur découpage en séquences, de leurs interréactions, que nous pouvons progresser et avoir une méthodologie effi-ciente dans le soin.
Il faut donc du temps, de l’investissement personnel, mais aussi savoir aborder l’observation d’un patient sur un mode qualitatif (geste, anticipation, associativité, projectivité…) et non pas uniquement sur le mode favori de l’informatique qu’est le quantitatif. Savoir que tel pa-tient fait un meilleur score que la veille n’est pas suffisant pour dire qu’il progresse. Il faut que nous puissions expliquer comment le patient s’y prend, se comporte et quels sont les différents processus mis en œuvre pour d’arriver au résultat.
3 - Image forte
L’informatique véhicule une image forte qui n’est basée sur rien de rationnel. On constate que l’argumentation est irrationnelle et que l’étayage est absent par méconnaissance du sujet, par jugements erronés, encouragés par la littérature, les films et les reportages télévisuels montrant une vision apocalyptique de la puissance d’un micro-ordinateur omniprésent et omnipotent.
Lorsque le patient arrive pour la première fois, et s’il est vierge d’expérience, on retrouve une émotion forte, une angoisse diffuse et élevée, et le sentiment de se sentir inférieur à la machine est prédominant.
Il convient de rassurer, d’encourager et de montrer avec des exercices simples que la mani-pulation de cet outil est très facile.
4 - Espace de travail virtuel
Le micro-ordinateur permet un travail très intéressant, car contrairement aux activités ma-nuelles, il offre un espace de travail que l’on peut qualifier de virtuel.
Le patient ne travaille sur rien de tangible, il se place en situation de travail où la matériali-sation de ce qu’il fait ne passe que par ses yeux, sans pouvoir toucher, sans contact direct entre lui, son action, son objet.
Les outils proposés par le micro-ordinateur au travers des logiciels n’existent pas physi-quement. Ce ne sont que représentations imagées, symboliques. Ainsi pour tirer un trait, doit-on sélectionner l’outil trait symbolisé par un trait, pour le cercle, il s’agit du symbole cercle…
Cet espace virtuel implique aussi que ce qui s’y passe soit dans l’immédiat sans possibilité de pouvoir décoder l’image. Quand une action est effectuée, il est trop tard pour l’arrêter, car elle est immédiate.
Le patient ne peut analyser son acte qu’après coup, car il n’a pu agir et réagir physique-ment dessus.
Néanmoins, cette absence de réalité dans la conséquence du geste est dédramatisée par la possibilité offerte à l’utilisateur de pouvoir agir sur son travail sans abîmer son œuvre. Il ne casse rien, peut recommencer à l’infini et ainsi l’erreur est plus que tolérée, car souvent stimulée afin de pouvoir éprouver ces actes, pouvoir essayer des situations angoissantes, sans qu’il n’y ait de con-séquence.
Cette possibilité est d’un grand secours chez les patients obsessionnels qui peuvent ainsi maîtriser leurs angoisses, car toutes actions effectuées peuvent être immédiatement annulées.
Ce processus s’applique aussi pour les patients psychotiques pour qui les choix sont une si-tuation très angoissante et qui apprennent à gérer cette angoisse grâce à l’absence de conséquence matérielle de leurs choix.
C’est donc dans cette aire de jeux-travail représentée par l’écran que le patient peut agir et réagir.
5 - Problèmes techniques-praxiques
La pathologie mentale invalide les possibilités techniques du patient et le micro-ordinateur accentue ce handicap, car le patient doit prendre des décisions, faire des apprentissages sans avoir l’aide de la mémoire des mains.
Il doit faire un apprentissage qui passe uniquement par l’œil. L’intégration des consignes est plus difficile, car il doit oublier ses automatismes acquis depuis son enfance comme ceux de prendre un crayon et une règle pour tracer un trait droit. Avec le micro-ordinateur, il suffit d’un seul outil virtuel pour tracer ce trait.
L’apprentissage du geste passe par le processus de répétitions-erreurs qui est permis par le micro-ordinateur, car on peut commettre toutes les erreurs possibles sans abîmer ce sur quoi l’on travaille. Cette possibilité permet au patient de pouvoir construire une stratégie où la notion de chronologie devient de plus en plus opérante. N’ayant plus peur de faire des erreurs, il est amené à pouvoir mentaliser ses actes, les mémoriser et ainsi anticiper l’action à effectuer.
Alors que l’on pourrait croire que le patient va utiliser la d’erreur à outrance, on s’aperçoit qu’il construit une stratégie qui le conduit à réfléchir sans appréhension aux choix qu’il aura à effec-tuer, car il semble que l’annulation d’un geste erroné reste encore trop coûteux psychiquement. Il apparaît donc que la mise en place de processus d’apprentissage, de stratégie est bien opérante et peut être efficace.
6 - Mode d’emploi unique
D’autre part, le micro-ordinateur implique que tous les outils qui sont mis à la disposition aient un mode d’emploi unique. Chaque fonction est unique et ne peut se substituer à une autre contrairement aux activités manuelles et un trouble ne peut être compensé par un artifice.
Un patient présentant des troubles praxiques, techniques, peut utiliser différents outils pour planter un clou : Le marteau, le tournevis, la clé plate… La maîtrise du mode d’emploi est moins rigide.
Dans l’activité informatique, le patient est amené à accentuer la différence entre dextérité et analyse. Cette médiation préoutillée ne fait que proposer les outils qu’elle possède sans pouvoir créer d’autre mode d’emploi. L’outil pour tirer des droites ne sert qu’à tirer des droites tandis que dans l’activité manuelle, une règle peut servir à tirer des droites mais aussi à mesurer, à déchirer du papier…
7 - Multiplicité des outils dans un même outil
Du point de vue technique, le micro-ordinateur permet de pouvoir s’exprimer avec un outil qui lui-même contient plusieurs outils. Cette direction de manipulation va dans le sens que la tech-nique impose de plus en plus aujourd’hui. Ainsi un objet devient multiple par la multiplication des outils dans un même contenant. Un outil suivant la fin recherchée propose différentes options d’utilisation. Ainsi nous avons eu des téléphones, puis des téléphones répondeurs, puis des télé-phones-répondeurs-fax, des fours simples puis des fours multifonctions…
Le patient se trouve confronté à ce type de situation où il peut faire de multiples choses avec un même objet. La stratégie face au micro-ordinateur doit lui permettre d’effectuer des choix sans cesse renouvelés et de pouvoir anticiper ce qu’il veut faire pour pouvoir être opérant, effi-cient.
Ce problème se pose aussi pour nous. Le micro-ordinateur n’étant qu’une caisse à outils, il nous faut penser son utilisation de façon précise, car nous pouvons faire trop de choses avec. Si l’on ne définit pas des objectifs précis, nous passons à côté de beaucoup de processus et nous ne pouvons formuler les hypothèses indispensables aux prises en charge.
C’est la combinaison de tous ces outils qui fait la richesse de cet instrument, mais aussi sa pertinence et notre perte. Ce n’est pas la richesse d’une bibliothèque qui fait notre aptitude à la consulter et à savoir quoi en faire, mais notre capacité à pouvoir formuler nos besoins et les moyens à mettre en œuvre.
8 - Danger psychose
Le patient a tendance à humaniser le micro¬-ordinateur par l’intermédiaire de l’écran. Il lui parle, le nomme, lui prête vie… et il perçoit dans cet écran la triple image de l’œil, de l’oreille et de la bouche. Le micro-ordinateur devient une machine vivante et magique, aux pouvoirs étendus. Il surveille et contrôle, tel un cyclope, les faits et gestes du patient au travers de son œil unique symbolisé par l’écran. Mais l’écran devient aussi bouche béante, prête à l’engloutir pour l’ingérer et prendre possession de son esprit voire de son corps. Ainsi, dans certains cas, le patient se sent aspirer par le micro-ordinateur-cyclope qui l’absorbe. Alors s’opère un transfert qui place cette machine dans le propre corps du patient. Il devient sous l’emprise de cet appareil électrique émet-teur d’onde et se sent télécommandé de l’intérieur. C’est un processus que l’on retrouve fréquem-ment avec les postes de radio et/ou de télévision.
La machine étant stupide et donc rigoureuse, le rôle du soignant est d’éviter que se mettent en place ces processus pour accompagner le patient vers une prise de conscience de ses possibilités de contrôle sur elle. Cette prise de conscience passe par des exercices simples qui montrent au pa-tient que c’est lui qui a le pouvoir et que cette machine ne peut rien contre lui. C’est ainsi que, pour permettre au patient d’éprouver la réalité, tous les travaux réalisés sont systématiquement imprimés afin de laisser une trace concrète et ce quelque soit l’état d’avancement de travail.
9 - Symbolique
Le micro-ordinateur permet aussi le travail de l’accès à la symbolique chez les patients inhi-bés, ayant une faible capacité de représentation ou présentant une déviance ou une déficience de l’accès à la symbolique.
Par l’intermédiaire de jeux de rôle, le patient est mis en situation d’éprouver différentes re-présentations de son monde et de sa problématique. Ainsi est-il mis en situation d’agir et de pou-voir s’identifier au personnage qu’il manipule. Cette fonction d’identification permet au patient de pouvoir projeter sa symbolique du monde. Il est alors intéressant d’observer les différentes places prises par celui-ci pendant une partie. Comme pris dans un film, il projette ses angoisses, sa vision du monde dans ce jeu-film interactif et se place, soit en tant qu’acteur direct du personnage (héros), soit en tant que conseiller entraîneur, soit en tant que spectateur passif de ce qui se trame.
Le patient devient tout à la fois, joueur, entraîneur, spectateur et se place dans ce stade où il est le gladiateur, la foule et Jules César avec pouvoir de vie ou de mort sur le personnage.
Ces différents rôles sont facilement consignables en observant les mouvements du corps, ses crispations, ses rapprochements de l’écran… ainsi que par le discours très primaire (phrases courtes, impératives, violentes, souvent injurieuses…).
D’autre part vous avez tous remarqué que l’on joue « contre l’ordinateur ». Ceci est un vec-teur d’agressivité face à un objet dont on sait qu’il ne peut vous répondre, nous agresser. On peut l’insulter, se « défouler », mais on se retrouve toujours face à soi même, face à ses erreurs.
Cela devient un combat facile, non pas par ce que l’on agresse un plus faible (généralement on perd tout le temps), mais parce que l’ordinateur n’a aucune réaction négative, car il vous félicite quand vous gagnez.
Ceci permet, entre parenthèses, de vérifier si un patient se met volontairement en situation d’échec en choisissant systématiquement un niveau trop fort pour lui.
10 - Conclusion
Je terminerai cette (trop) courte présentation par un double appel.
Je recherche en effet des personnes concernées par ce thème et qui souhaiteraient échanger, car la littérature est encore pauvre. Il va de soi que ces échanges ne sauraient se limiter à la seule population psychiatrique, car ce serait trop limitatif, certains mécanismes étant opérants, quel que soit le type de pathologie.
D’autre part je développe des piles HyperCard pour mes besoins propres dans le cadre de mes prises en charges et je recherche d’autres développeurs, adaptateur afin de pouvoir confronter et tester in vivo mes réalisations et les vôtres.