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Projet de vie personnalisé, rôle des paramédicaux ?

CAIRE Jean-Michel

Mis en ligne le dimanche 7 août 2011 à 12h32, par guihard

Auteur : J.M Caire - Responsable de formation, Institut de Formation d’Ergothérapie de Bordeaux.

« Connaître et penser, ce n’est pas arriver à une vérité absolument certaine, c’est dialoguer avec l’incertitude » (Morin E., 1999).

Préambule

Il y a quelques semaines dans le cadre d’une réunion « espace éthique et maladie d’Alzheimer », il y avait autour de la table des médecins, infirmiers, cadres de santé, ergothérapeute, psychologue, philosophe, prêtre, juristes, adhérent d’association, chercheurs…

L’un des membres soulevait le problème d’épuisement de certains gestionnaires de cas complexes dans le cadre des Maisons pour l’Autonomie et l’Intégration des malades Alzheimer (MAIA). Il évoquait la difficulté d’être toujours en prise avec une souffrance humaine multifactorielle amenant parfois les professionnels à « transgresser » les règles pour envisager l’individu dans son contexte et prendre la décision qui apparaissait la plus favorable sur le moment. La discussion a pris de l’ampleur autour de ce mot de « transgression ».

Le débat s’éloignait du thème de l’épuisement pour revendiquer des positions affirmées et apparemment contradictoires entre le monde médical, social, juridique et philosophique. Chacun amenait dans la réflexion une définition du mot, une pratique autour de ce terme, une opposition entre des logiques différentes. Il a fallu expliciter et chercher le sens de ce mot pour chacun.

Bien sûr le premier sens qui apparaît est celui du passage de la limite, étymologiquement passer outre, franchir une frontière. A cette notion vient s’ajouter une approche plus juridique voire politique avec la notion d’infraction de la loi, de la règle établie. La transgression évoque aussi le défi, la mise à l’épreuve. Ce mot, mais aussi la situation vécue par les gestionnaires de situations complexes, nous a poussés à questionner la position de chacun, à identifier, au-delà du rôle de chacun, la représentation que nous avions de la situation.

Cet espace d’interaction nous donne l’occasion d’un regard croisé interdisciplinaire sur l’expérience de la transgression et des enjeux qu’elle représente. Nous tentons d’être dans une démarche éthique telle que la définit Fiat E., une posture qui nous impose de trouver les moyens pour rendre le tragique moins tragique [1].

Cette histoire banale est celle d’un groupe qui s’est mis en projet de poser un regard critique sur leur pratique autour de la complexité de l’accompagnement des personnes Alzheimer et de leurs familles. Ce préambule me permet de revisiter le titre annoncé il y a quelques temps, titre largement critiquable.

Il comprend deux notions qu’il paraît nécessaire de clarifier, celle du projet et celle du rôle, de l’action des acteurs de soins.

Projet de vie : le pari de la recherche du sens

Comment relier le projet de vie et le projet personnalisé ou individualisé ?

Bien que ces deux projets soient complémentaires, ils appartiennent à deux niveaux différents. Le projet de vie est lié à l’histoire personnelle de celui qui le construit, c’est « un enjeu existentiel » [2] comme le définit Boutinet J-P. Le projet de vie est par définition personnel et singulier, il est dépendant de la trajectoire de vie et ne peut être figé. Le projet a une valeur symbolique grâce à son anticipation, l’action à venir lui donne du sens. Lorsque nous parlons du sens, nous faisons référence aux trois dimensions : de la signification, de l’orientation vers ,et du sensible. Mais le projet de vie se construit en prenant compte de l’appartenance à une famille dans un contexte de vie.

Une famille, c’est l’histoire de la transformation de ses projets et de ceux de ses membres au fil de l’existence [3]. Le projet de vie est lié au mythe familial [4], aux représentations que chacun peut avoir de la situation en lien avec le système d’appartenance. Le projet de vie se trouve à un niveau épistémologique, représentationnel.

Dans la construction de ce projet, les professionnels sont totalement incompétent, c’est la famille qui a la connaissance de sa réalité et « est compétente pour son problème et peut être active pour le résoudre » [5]. La personne malade et la famille possèdent donc la possibilité de modifier ses représentations et remettre en question le fonctionnement familial qui cristallise la situation. Ainsi « les familles ont les compétences nécessaires pour effectuer les changements dont elles ont besoin à condition qu’on leur laisse expérimenter leurs auto - solutions et qu’on active le processus qui les autorise. » [6].

Notre compétence se situe plus dans la manière d’accompagner la personne malade et la famille à énoncer leur projet de vie.

Dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, l’évolution de la maladie diminue progressivement l’autonomie de la personne malade et entraîne un accroissement du rôle des aidants familiaux. La mise en crise de l’équilibre familial entraîne un réajustement des rôles et une redistribution des tâches dans la famille. Les familles nous montrent combien reconstruire une nouvelle réalité qui intègre la maladie d’Alzheimer est un processus difficile mais indispensable pour un apaisement au sein même de la famille et pour la personne Alzheimer elle-même.

« Les traces du chemin passé, les pas des uns et des autres dans ce chemin, sont ignorés de la plupart des soignants et thérapeutes, et pourtant, sont un des déterminants très importants de la façon dont la relation va continuer à se construire. » [7]. Dans le domaine de la maladie d’Alzheimer peu d’interventions concernent en même temps les proches et la personne Alzheimer [8].

Pour nous aider à organiser cet accompagnement, nous devons activer un autre niveau plus méthodologique qui permet aux équipes de s’organiser autour de la personne malade et de sa famille. Le projet personnalisé ou individualisé s’inscrit dans ce niveau d’élaboration et de construction d’un processus.

Projet personnalisé : le pari d’organiser la recherche du sens

Le projet personnalisé ou encore individualisé est en lien direct avec le projet d’établissement qui décline les missions de l’institution et qui comprend les objectifs, les moyens et l’organisation entre professionnels. Ce projet est à un niveau organisationnel, méthodologique. Cette démarche permet la mise en actes d’un service au bénéfice de la personne malade et de sa famille. La loi de janvier 2002 confirme le cadre réglementaire du « projet personnalisé ». Le sujet est au centre du dispositif, les professionnels de l’établissement doivent adapter leurs dispositifs aux individus et non l’inverse. Il existe des synergies et des reconnaissances à tous les niveaux : contractualisation entre la personne malade et les praticiens, collaboration avec la famille, une concertation avec l’environnement. Les trois phases du projet personnalisé : l’évaluation initiale, la définition des priorités, l’évaluation des effets et des résultats. Deux éléments au moins paraissent fondamentaux dans ce type de projet organisationnel. Il permet tout d’abord de mettre en évidence une constitution d’équipe voire un fonctionnement. La constitution de l’équipe en gérontologie est pluridisciplinaire ou multidisciplinaire. Le fonctionnement peut être soit pluri, soit inter, soit transdisciplinaire. Le projet personnalisé nécessite de la part de l’équipe de se poser, de s’organiser, de négocier pour arriver à construire une cohérence contenante pour la personne Alzheimer et sa famille, un repère fiable. Il permet aussi de poser un contrat explicite entre l’institution, la personne malade et sa famille. Ce contrat n’a de sens que s’il est réactualisé en fonction des modifications et des adaptations selon les nouvelles attentes et besoins de la personne malade et de sa famille. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, l’évolution des troubles amène à modifier constamment le projet personnalisé. L’avenant au contrat administratif obligatoire pour chaque institution pose un engagement écrit d’un projet de soins avec des objectifs et des moyens. Faire un contrat dès l’admission, c’est faire le pari de se rencontrer avec la personne Alzheimer et de l’écrire. Faire un contrat, c’est faire le pari de mettre en place une organisation pour chercher le sens.

Cependant l’écueil de cette approche dite « globale » serait de réduire la complexité des situations à une description par étapes enfermante que l’équipe devrait suivre tel une procédure sans laisser la place à l’humain. En effet les outils, les méthodes favorisent une manière de penser, c’est un guide.

Mais cela peut être un piège, celui d’une étiquette qui collera alors au moindre comportement de la personne Alzheimer. Par exemple faire un bilan de l’errance ne dit rien sur la personne qui à 15h se retrouve au restaurant de l’EHPAD en demandant son petit déjeuner. Il y a beaucoup de facteurs personnels et contextuels qui peuvent expliquer ce comportement.

Se limiter à une seule explication normative relève d’une approche réductionniste et nous pousse à fermer la porte à la recherche du sens. La maladie n’explique pas tout, cette faillite de l’intelligence n’est pas que la résultante de la maladie, Maisondieu considère les impacts intrapsychique et interrelationnel comme des facteurs déterminants dans l’évolution des troubles. [9]

Un autre écueil serait d’avoir l’illusion de la maîtrise, de tout prendre en compte dans l’espoir de tout décrire. Dans ce cas, l’approche ne laisse pas de place au doute, à l’imprévisible et enferme la personne malade et la famille dans nos propres représentations de ce qui serait bon pour eux. Comme le souligne Morin E., un système complexe est et doit rester créateur d’imprévisible [10].

Le projet personnalisé, tout comme le projet de soins, n’est qu’un outil méthodologique au service de la clarification des situations. Ces outils doivent permettre de rencontrer l’autre là où il est et partir de là où il se trouve.

Se mettre en action de soins : Pari de la rencontre au quotidien qui fait sens pour chacun.

Nous sommes là au niveau du terrain, de la pratique, du vécu au quotidien. La rencontre est troublante lorsque l’on est face à un malade Alzheimer difficile. Mais qu’est-ce qui est difficile ? Qui est difficile avec qui ? Je reprendrais une réflexion du docteur Demoures lors du colloque à Bordeaux sur la prise en soins difficile [11].

Les malades Alzheimer nous interpellent dans leur étrangeté, ils perturbent la bonne marche de l’Institution, ils ne sont pas conformes à ce que l’on pourrait attendre d’eux, ils ne comprennent pas ce que l’on attend d’eux.

Ils peuvent s’élever contre le soin, contre leurs proches, contre eux-mêmes, c’est ce que nous mettons sous l’étiquette de « troubles du comportement », mais qui est réellement troublé ? [12]

Faire le pari de la rencontre, c’est prendre le risque de l’altérité. Jankélévitch cité par Maisondieu J. définit l’altérité de cette façon : « L’autre est un autre que moi parce qu’il est relativement le même, parce qu’il est à la fois semblable et différent. »[13].

Imaginer que l’autre qui est « Alzheimer » et qui perd la tête est différent de moi est plutôt rassurant … l’imaginer en possible futur pour moi est beaucoup plus difficile.

Le risque est de refuser, dans la relation, d’appartenir au même monde, de nier les similitudes avec celui ou celle qui dérange par ces comportements. La confrontation à une maladie particulièrement éprouvante, la difficulté, voire l’impossibilité de constater des progrès, nous met à mal au quotidien au point d’en oublier la personne en face, son identité, son histoire, ses proches. Le pari de la rencontre prend du temps pour connaître l’autre, reconnaître l’autre. Ce pari est exigeant puisqu’il nous impose une remise en question et un changement dans nos pratiques.

Pour nous aider dans le quotidien, il existe plusieurs leviers qui permettent notre évolution professionnelle.

La recherche, bien qu’elle paraisse parfois éloignée du terrain et une source importante pour comprendre en quoi notre action a un impact sur la personne malade. Actuellement le protocole ETNA3 en France évalue l’impact de différentes techniques cognitives, psycho-sociales, sensorielles, motrices et d’aménagements environnementaux sur les personne Alzheimer. Cette lecture scientifique objective notre pratique pour lui permettre d’évoluer. L’autre levier est la formation tout au long de la vie. Ce former, c’est confronter notre expérience à celle des autres, c’est aller ailleurs pour revenir avec un regard différent. Par cette démarche nous nous ouvrons à des possibles en enrichissant nos compétences.

Le dernier levier est de proximité, directement lié à l’institution où l’on travaille. C’est un espace pour que les équipes puissent parler de ce qu’ils ont vécu. Ce lieu permet de délivrer ses propres difficultés, de réfléchir sur son propre positionnement, d’inter –penser avant d’inter - agir.

Il n’est pas simple d’accepter de rentrer dans une autre logique, on ne peut rentrer en relation sans interprétation, c’est comme cela que l’on questionne le sens. Un soin pensé, c’est un regard décalé et pluriel. Les lieux de régulation semblent donc indispensables pour être dans une dynamique de recherche du sens.

Cette mise en commun permet de travailler en relation avec la personne Alzheimer sans être obligé de le voir uniquement par la focale du pathos. Dans toute maladie nous avons trois façons d’appréhender le sujet : faire contre la maladie, c’est le traitement médicamenteux et non médicamenteux ; faire avec la maladie, c’est le « prendre soin » au quotidien ; et faire malgré la maladie, c’est s’occuper à rendre au sujet sa qualité de sujet créatif, voulant exister, étant quelqu’un [13].

C’est peut être aussi aider à maintenir la continuité identitaire et la cohérence par rapport à l’histoire de vie, les valeurs, les habitudes.

Les rôles et les fonctions de chacun sont définis non seulement par rapport à l’identité professionnelle mais aussi par rapport au projet centré sur la personne Alzheimer et son système d’appartenance.

En effet, l’impact de la maladie Alzheimer sur la famille entière avec un réaménagement de relations au sein de la famille et une redistribution des rôles nous amène à penser que cette maladie n’est ni l’affaire d’une personne, ni celle de deux, mais bien celle de tout un système familial. [14].

L’approche appelée systémique met au centre du programme thérapeutique le système familial évitant ainsi de désigner le malade comme porteur unique de tous les maux, de la pathologie collective. En questionnant le modèle relationnel familial, nous permettons aux personnes Alzheimer et aux familles de se raconter, de faire le récit de l’histoire singulière et de rechercher le sens [15].

Ouverture

Se mettre en projet, c’est peut être nous ouvrir à des possibles pour que le tragique soit moins tragique, pour nous laisser surprendre par l’inattendu, la rencontre.

Si nous sommes seul, l’entreprise est vouée à l’échec si les structures législatives engagent les institutions à avoir une constitution d’équipe pluridisciplinaire, il est de notre responsabilité de créer des fonctionnements pluri, inter, transdisciplinaire pour permettre la recherche du sens et faciliter l’énoncé du projet de vie par la personne Alzheimer en lien avec son passé, son présent et son contexte.

Je terminerai par ces paroles de Julos Beaucarne revisitées grâce à Thiry, psychomotricien spécialisé dans le processus Snoezelen

J’aime ces gens étranges

Leur raison déraisonne

Ils sont les dissidents

Des logiques des hommes

Leur cœur ne souffre pas

L’événement leur échappe

Ils captent les émois

L’essentiel sans flafla …

Bibliographie :

Morin E (1999) La tête bien faite, repenser la réforme, réformer la pensée, Paris, Seuil, 144 p, p 66

[1] Fiat E. (2008) Affronter l’angoisse, affronter le tragique en fin de vie, texte paru sur le site http://philo.pourtous.free.fr/Eric/... , pp 1 - 5 (consulté en octobre 2008).

[2] Boutinet JP (1992) Anthropologie du projet, PUF, Paris, p. 275.

[3] Destaillats J-M, Mazaux J-M (2006) L’approche neurosystémique des troubles du comportement : du symptôme au symbole, la construction du sens. In Actes des 19ème entretiens de la fondation Garches, Frison Roche, Paris, pp 165 – 182.

[4] Caillé P. (2007) Voyage en systémique, l’intervenant, le demandeur d’aide, la formation, Fabert, Paris.

[5] Ausloos G. (1995) La compétence des familles, Erès, Ramonville Saint-Agne, p. 128

[6] Ausloos G. (1995) La compétence des familles, Erès, Ramonville Saint-Agne, p. 173

[7] Destaillats J-M., Mazaux J-M., Belio C., Sorita E., Sureau P., Lozes S., Pelegris B., Wiart L. (2007) Le lien familial à l’épreuve du handicap : la consultation handicap et famille Identité, in Azouvi P., Joseph P-A., Pélissier J., Pellas F. Prise en charge des traumatisés cranio-encéphaliques : de l’éveil à la réinsertion, Masson, Paris., p. 172

[8] Dartigues J-F (2003) Prévalence de la maladie d’Alzheimer en France, in Contact : journal des adhérents de l’union nationale des associations Alzheimer, n° 65, p 5, Paris.

[9] Maisondieu J. (2001) Le crépuscule de la raison, la maladie d’Alzheimer en question, 4ème éd, Paris, Bayard.

[10] Morin E (1999) La tête bien faite, repenser la réforme, réformer la pensée, Paris, Seuil,

[11] Demoures G., Gutierrez P.(2010) Le sens du refus de soin chez le patient et sa famille, Cercle Aquitain Alzheimer, Colloque CFPPS, La prise en soins difficile : approches non médicamenteuses dans la maladie d’Alzheimer, 13 octobre 2010.

[12] Pellissier J. (2010) Ces troubles qui nous troublent, les troubles du comportement dans la maldie d’Alzheimer et autres syndromes démentiels, Paris, Eres.

[13] Maisondieu J (2009) Maladie d’Alzheimer, de quoi parle t’on ? Echange IFE Bordeaux-ISEK Bruxelles, Colloque APRES, Communication et maladie d’Alzheimer, 01 avril 2010.

[14] Darnaud T. (2007) L’impact familial de la maladie d’Alzheimer, comprendre pour accompagner, Chronique sociale, Lyon.

[15] Destaillats J-M, Mazaux J-M (2006) L’approche neurosystémique des troubles du comportement : du symptôme au symbole, la construction du sens. In Actes des 19ème entretiens de la fondation Garches, Frison Roche, Paris, pp 165 – 182.

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